Banlieues Bleues | voisiner les monstres

deux soirs Banlieues Bleues au Forum du Blanc-Mesnil


Dure semaine, mais c’était surtout la trouille. Voir ici photos de mercredi soir (Led Zep avec Vincent Ségal et ici photos de jeudi soir (L’Invention des musiciens - merci à Celia d’Art Pas Net).

Lundi répétition, première étape : voir surgir Médéric Collignon au rendez-vous de Pantin (je ferai mercredi et vendredi mes ateliers d’écriture avec les jeunes du CIFAP, c’est Pantin la base de vie cette semaine). Médo a apporté ses instruments, c’est-à-dire : un tuyau ramassé sur un chantier, un ancien mégaphone trouvé dans une brocante. On attend le bus navette, il organise à lui seul avec son mégaphone une manif anti CPE.

Dans ces répétitions, la tension et l’univers de secret que semble porter avec lui l’exigeant Pifarély devient une base commune pour l’ancrage intérieur. Leçon de maître : en tout cas, si cette fin de semaine je revis ces moments aussi comme d’immense chance, c’est pour ce que j’en ai reçu, de musique d’abord (sa musique, à Pifarély), et ce qu’aussi ça a débusqué de mots, jusqu’au minibus du retour, dans la nuit de jeudi, et que soudain de son cartable il a sorti Paul Celan, comme par hasard Paul Celan, pour en lire une phrase.

Je ne sais pas le vocabulaire intérieur des musiciens avec qui je vais partager la rencontre spectacle de jeudi, je dois tout apprendre. Par exemple, leur façon de s’installer corporellement ensemble, instrument sur les genoux, dans la salle vide, qu’on y passe beaucoup de temps. Arpenter. Essayer des micros, des places. Et moi j’entendrai beaucoup de musique : musiques secrètes, celles qu’ils ne joueront jamais quand la salle sera éclairée, peuplée (devant Médéric Collignon travaillant, seule dans la salle, Nilou Kaveh, chargée de production de Banlieues Bleues et qui nous a accompagnés tout ce parcours).

Il est impossible de photographier Sylvain Kassap (trop de cheveux, et il bouge trop), et ce sera le seul de mes quatre invités à ne me proposer aucune image d’archives : il n’en a pas. Il aura cette phrase étonnante de conséquences : "Je me construis sur l’abandon." Je lui volerai des photos de ses mains rangeant la clarinette, ou les instruments dans la loge.

Mardi, ma religion c’est les Beaux-Arts, la semaine dernière on a fait l’atelier d’écriture autour de Valère Novarina, ce matin c’est autour de Francis Ponge. Le midi on va chez Ernest avec Patrick Rebollar, ensuite deux heures sur Kafka. Ce week-end, résoudre l’équation : reprendre le cours mardi avec une lecture détaillée d’un récit de Kafka parmi ceux que les étudiants ne connaissent pas (Champion de jeûne, ou Joséphine la cantatrice, ou Le Terrier), ou commencer Proust...

Mercredi, grand jour. Je suis dès le début d’après-midi au Forum. M’immerger mentalement dans Led Zeppelin. J’ai plus de quatre cents pages d’écrites sur l’histoire du groupe, le microscope que cela représente pour une traversée des années 70. Mais beaucoup, beaucoup de points encore à éclaircir, compléter, c’est un puzzle dont toutes les parties sont mouvantes. J’y consacrerai cinq mois plein et exclusifs à partir d’avril. Le livre continuera de faire quatre cents pages, mais tout le mouvant devra finir par se stabiliser.

VIncent Ségal. Il a reçu la semaine dernière avec Cyril Atef une des Victoire de la musique (j’ai bien reçu un Molière !), et sur Internet on voit les copains de Cyril la lui découper en deux parties égales pour une juste répartition (musiquepostbourgeoise.com, voir vidéo n° 6)...

Le soir, six cents personnes, salle remplie à craquer. Des amis dans la salle, dont pas mal de la galaxie Internet, comme elle ou bien elle. Vincent est Led Zeppelin à lui seul, mais Led Zep dans l’invention des morceaux, leur côté rauque, ou d’étonnants arpèges de guitare au violoncelle acoustique, sans jamais tromper l’instrument ni mimer l’instrument voisin, juste parce qu’il revient là où cette musique s’invente. Moi j’ai cinquante pages sélectionnées, je choisis à mesure de son impro telle ou telle histoire brève, être tout près des personnages dont je parle, les sentir dans mes mains. Je terminerai par leur rencontre avec Elvis, intuition de dernier moment, avoir joint cette page... Quelle étrange moment, de voisiner à quelques dizaines de centimètres cette source géante de son en mouvement. Ceux qui connaissent Bumcello comprendront...

Je n’étais pas en état d’écouter ensuite la prestation Led Zeppelin de l’ONJ, que j’ai trouvée bien molle, et les gens de cette formation pas vraiment ouverts ni polis.

Je dors les deux soirs au Libertel à Pantin. Etonnante vue depuis mon septième étage sur Paris : ça me replace dans les souvenirs de Bobigny époque Décor Ciment. Je fais de nombreuses photos, toutes heures.

Jeudi, retour Blanc-Mesnil. Ville dont Xavier Croci me raconte les spécificités, l’évolution, et l’âpreté que c’est de conduire un établissement comme le sien, via des résidences d’artistes, tout un travail de proximité. Un moment, étrange soleil orange tombant lourdement sur la dalle, mais j’ai laissé l’appareil photo sur la scène.

Complicités et respect des quatre musiciens : Médo a scotché par terre un Shure 58, et son tuyau de chantier deviendra un instrument complet et multiple, une sorte de foyer d’harmoniques. Vincent Ségal et Domique Pifarély parleront de leurs profs, "non pas d’instrument, mais de vie" : les deux hommes jouaient ensemble dans le quatuor Parrenin, on entendra un enregistrement de Debussy sur un ancien 33 tours craquant : unicité de la musique. Kassap remontera aux sources d’Europe centrale de la clarinette. Pour l’ouverture, je raconte sur scène, en impro, ce que je sais de chacun et pourquoi je leur ai demandé de venir là ce soir. Quand j’évoquerai pour Médo la perte de son père, un cri en arrière me répondra, et quand j’évoque le parcours de Kassap, rock, errances, et cette clarinette d’occasion que lui offrent à 16 ans ses copains, chacun un morceau, souvent lui aussi cherche à couvrir, amplifier, dialoguer. C ’est Dominique Pifarély qui a pris mon appareil sans que je m’en aperçoive, sans doute, puisque je me découvre en position moi aussi de souffleur : souffleur de voix, l’impression de peser cent kilos (j’en suis pas là quand même), découpage de mots.

A la fin, lorsqu’ils iront tous quatre construire une improvisation que je rejoindrai en lisant un texte de Michaux (D’un certain phénomène appelé musique), Dominique Pifarély puis Médéric Collignon viendront dire au micro comment eux perçoivent ce que construisent les trois autres...

Empoisonné toute cette semaine par foulure ou enflure cassure à index main gauche souvenir de Lyon l’autre dimanche, va falloir s’en préoccuper plus scientifiquement, mais quand même sentiment de chance, très grande chance : apprendre.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 18 mars 2006
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