#LedZep 2, horloge | John Bonham, 25 septembre 1980

Rock’n Roll, un portrait de Led Zeppelin


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Au départ de mon livre, une question que m’avait renvoyée Vincent Segal à propos du contretemps de Charlie Watts et ce que j’en disais dans Rolling Stones, une biographie. Ça s’est passé à Kyoto, au son d’un vieux gong de bois, l’impression qu’il pouvait y avoir un défi à faire tenir toute une écriture sur ce qu’est le son de batterie.

John Bonham est mort prématurément, et son décès a entraîné la fin du groupe. Sa biographie est donc documentée bien plus à fond que celle de ses 3 collègues. Et puis un portrait d’artiste au plus brut.

Il a donc été, dès le départ, à la fois la base et le but du livre.

 

2 – Horloge : John Bonham, 25 septembre 1980


Il a bu tout au long de la journée : vodka, beaucoup de vodka, bien trop de vodka mais ce n’était pas la première fois. Il boit depuis longtemps, le corps est usé. C’est à la campagne près de Windsor, une grande maison discrète, parce que le groupe veut s’isoler pour le travail. Ce qui a choqué les autres, c’est qu’il a bu aussi pendant la répétition alors que jamais, en douze ans de carrière commune, on n’a eu à lui reprocher pareille interférence (lors de la dernière tournée pourtant, à Nuremberg le 27 juin, au troisième morceau il s’est écroulé du tabouret : la première fois qu’il était soûl à ce point sur scène, on venait de terminer Nobody’s fault but mine, la faute à personne sauf à moi).

Il a grossi : depuis deux ans, le musculeux Bonham est bouffi. On l’a couché sur le côté, calé avec des oreillers et on vérifie qu’il cuve, on éteint les lumières et on le laisse. Qu’il vomisse dans la nuit, cela non plus ne sera pas la première fois. On peut se le permettre, on a tout un personnel masculin, les roadies, qui nettoie. Riche ou pas riche, un type bourré qui dégueule, ce n’est jamais beau à trouver, le matin.
Le matin, lui, quand il émerge (les autres matins, les matins d’avant, les matins en général), la campagne anglaise est encore dans son timide soleil du midi, et ses couleurs d’automne, en Angleterre l’automne est plus précoce, plus progressif que le nôtre – pas de tristesse, chez eux, dans l’automne. On répète pour la prochaine tournée américaine, on doit à nouveau « se synchroniser » (c’est leur mot) : la dernière fois qu’on est allé en Amérique ça s’est mal passé, mal fini. Ils veulent enregistrer à nouveau, mais revenir à ce qui a été leurs débuts : retour aux riffs, montrer qu’on est restés au même endroit, qu’on est toujours les mêmes, capables encore de rock’n roll. D’habitude, avec quelques clopes et une bière ou du gin on calme la gueule de bois même si les mains tremblent, on finit par retrouver sa tête. Quand il joue, Bonham, ça n’a jamais tremblé. Bouffi, ivrogne, violent : seulement, c’est le meilleur batteur rock qui ait jamais existé, tout le monde le dit, et ils en connaissent suffisamment d’autres, eux, pour en être sûrs. Et même là, maintenant, bientôt trente ans après sa mort : toujours cité dans les meilleurs. Vingt-cinq ans et des millions de batteries vendues, et dans tous les coins recoins du monde : les types qui s’affirment au moment où un art s’invente, ils prennent un tour d’avance. Lui aussi le sait. Sa batterie, Bonham, pas un art de la démonstration, plutôt une manière de tenir un rythme et pousser, réservée à si peu : un temps, un autre, et du vide entre. Sa façon d’en parler, vous verrez. Sur l’instrument le plus ancestral de toutes les musiques, la percussion qu’elle soit de bois, de peau, de terre cuite ou de pierre, l’instrument qu’il frappait à mains nues, il se fait inventeur autant que le guitariste, fondateur et patron, autant que le chanteur aux cheveux dorés devenu mythe, autant que le bassiste et ses grondements, et quand Bonham rendra l’âme, c’est Led Zeppelin qui s’arrêtera.

C’est la nuit. Il a tellement bu qu’il ne se relève pas quand vient le vomi. Le corps a ce sursaut, éliminer. L’estomac a des spasmes. Dans le fond de la tête en coma éthylique, peut-être une bribe de conscience, se relever. Il a le visage dans le vomi, ne s’en aperçoit pas. La vodka est mêlée de bile, de restes de ce qu’il a picoré la veille (les alcooliques mangent peu), cela voudrait s’échapper de la bouche et ne le peut pas, s’en va dans la gorge. Peut-être alors qu’il se réveille, les yeux exorbités, une frayeur, les mains sur le cou, où cela bouche, le visage se distend, cherche à aspirer mais la trachée refuse, maintenant réveillé mais sans comprendre où il est ni ce qu’il fait, qui l’a mis ici et pourquoi, pourquoi il ne respire pas. Ce type est une force de la nature, il y a forcément cet instant de peur nue, de terrible peur. Il veut respirer, ouvre la bouche, mais retombe sur le ventre et cette fois c’est fini.

Ainsi meurt, à trente-deux ans, le fils de charpentier et charpentier lui-même, John Bonham, batteur de légende, le 25 septembre 1980, sans avoir rien expliqué de l’énigme de son destin. Un artiste unique, un immense artiste, étouffé dans son vomi.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 2 avril 2013
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