H.P. Lovecraft | Histoire du Necronomicon

quand le livre qui fonde la fiction devient fiction à son tour


La question du livre, en lui-même, traverse de part en part la fiction de Lovecraft. Elle atteste, puisque le livre transmet à distance son témoignage, que ce qui traverse nos peurs et nos villes par la terreur ne participe pas d’une invention, mais a été l’expérience concrète de précurseurs.

Grimoires maudits, livres interdits, on les retrouve alors, à un moment ou à l’autre, dans toutes les enquêtes des narrateurs propulsés vers l’horreur. Et, dès 1922, ce nom étrange, fondé sur une fausse étymologie grecque, en devient le symbole pour Lovecraft – comme la bibliothèque de la fictive Arkham deviendra le labyrinthe qui permet de cheminer vers leur révélation.

En 1927, donc bien antérieurement au rôle du Necronomicon dans les « grands » récits du mythe Lovecraft, il éprouve le besoin d’en constituer une notice explicative. Comme une pièce décisive du puzzle d’ensemble, donc, mais qui restera dans cet autre labyrinthe qu’est son oeuvre non publiée. En 1938, ce sera pourtant un texte qui sera très vite rendu accessible de façon posthume.

Gardons en tête que le nom de cet auteur arabe c’est celui qu’enfant il s’attribuait à lui-même dans ses jeux lorsqu’il découvrit les Mille et Une Nuits. Intéressante aussi sa réponse à la question d’un de ses amis, James Blush, sur pourquoi il n’a pas écrit lui-même ce Necronomicon disparu, il répond que cette réalisation serait toujours décevante, et même pas un dixième de la puissance suggestive d’un livre imaginaire. Notion qui lui tient à coeur : dans les Notes pour écrire de la fiction surnaturelle, il revient sur le rôle que jouent chez Edgar Poe ces livres impossibles ou inatteignables.

Mais le Necornomicon n’est-il pas la somme de tous ces fragments et citations qu’on traverse dans chaque histoire de Lovecraft ? C’est sans doute cela qui en fait désormais une oeuvre légendaire, et dont l’existence semble assurée au-delà de l’oeuvre de Lovecraft.

Et bien curieux ce rebond fictionnel à la toute fin de ce bref article, lorsque Lovecraft en attribue à la paternité à l’un de ceux qui (dès 1895 pour le titre cité (Le roi jaune) l’ont initié au roman fantastique : Robert W. Chambers (1865-1933), et auquel il empruntera le recours à des mythes fictifs.

Et ce serait juste le hasard que Alhazred se prononce comme all has read ?

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 Image ci-dessus : manuscrit arabe du XIIIe siècle, source Riowang (magnifique).

 

Lovecraft | Histoire du Necronomicon


Le titre original Al Azif – azif est le terme utilisé pour les Arabes pour désigner le bruit nocturne (dû aux insectes) supposé être le hurlement des démons.

Composé par Abdul Alhazred, un poète fou de Sanaá, au Yemn, dont on dit qu’il a écrit pendant la période des califes ommiades, vers l’an 700 de notre ère. Il a visité les ruines de Babylon et les souterrains secrets de Memphis, et passé dix ans seul dans le grand désert au sud de l’Arabie – le Roba el Khaliyeh ou « Le grand vide » des anciens – et désert du Dahna ou Crimson chez les Arabes modernes, dont la légende dit qu’il est habité par les esprits protecteurs et les monstres de la mort. De ce désert, ceux qui l’ont traversé rapportent beaucoup de légendes étranges ou incroyables. Alhazred vécut ses dernières années à Damas, où fut rédigé le Necronomicon (Al Azrif), et de la date de sa mort ou disparition (en 738) on rapporte beaucoup de choses terribles et contradictoires. Ainsi, Ebn Khallikan (biographe du XIIe siècle) dit qu’il a été enlevé par un monstre invisible en pleine lumière du jour et dévoré horriblement devant une foule de témoins effrayés. Sa folie aussi a suscité bien des contes. Il est réputé pour avoir vu la fabuleuse Irem, ou Ville des Piliers, et d’avoir trouvé sous les ruines de certaine ville sans nom du désert les annales et secrets révoltants d’une race plus vieille que l’humanité. Il n’était rien qu’un musulman indifférent à sa foi, adorant des entités inconnues qu’il nommait Yog-Sothoth et Cthulhu.

L’Azif, en l’an 950 de notre ère, qui avait acquis une réputation considérable mais clandestine parmi les philosophes de l’époque, fut secrètement traduit en grec à Constantinople par Theodorus Philetas, sous le titre Necronomicon. Pendant un siècle, il incita certains expérimentateurs à de terribles tentatives, qui conduisirent le patriarche Michaël à l’interdire et le brûler. Après, on n’en entend plus parler qu’à la dérobée, mais plus tard, au Moyen-Âge, Olaus Wormius en fit une traduction latine qui bénéficia de deux impressions – une au XVe siècle sous le manteau (évidemment en Allemagne) et une autre au XVIIe (probablement espagnole) – aucune des deux éditions ne comportant de marques d’origine, et dont on ne peut retrouver l’époque et le lieu que par l’étude de la typographie interne. Les deux traductions, la latine et la grecque, furent bannies par le pape Grégoire IX en 1232, peu de temps après la traduction latine, qui avait attiré l’attention sur le livre. L’original arabe était déjà perdu au temps de Wormius, comme indiqué dans sa note liminaire ; et plus de trace de la traduction grecque – qui fut imprimée en Italie entre 1500 et 1550 – depuis l’incendie de la bibliothèque de certain habitant de Salem en 1692. Une traduction anglaise, établie par le Dr. Dee, n’a jamais été imprimée, et consiste seulement en fragments retrouvés du manuscrit original. Du texte latin, un exemplaire (du XVe siècle) est répertorié au British Museum mais inaccessible et sous clé tandis qu’une autre (du XVIIe) est à Paris, à la Bibliothèque nationale. Deux éditions du XVIIe sont conservées, l’une à Harvard à la bibliothèque Widener, et l’autre à la bibliothèque de l’université Miskatonic d’Arkham. Un autre à la bibliothèque de l’université de Buenos-Aires. De nombreuses autres copies ont certainement été préservées en secret, et court la rumeur persistante qu’une édition du XVe est la propriété d’un célèbre et millionnaire collectionneur américain. Une rumeur beaucoup plus vague fait état de la conservation d’un exemplaire du XVIe siècle de la traduction grecque dans la famille Pickman de Salem ; mais s’il en a été ainsi, elle s’est évanouie avec l’artiste R.U. Pickman, disparu prématurément en 1926. Le livre est strictement interdit par les autorités de la plupart des pays, et par toutes les branches des religions organisées. Le lire amène à de terribles conséquences. On dit que c’est de l’écho de ce livre (très peu connu du grand public) que R.W. Chambers a repris l’idée de son roman de jeunesse Le roi en jaune.

Chronologie :

 Al Azif, écrit vers 730 à Damas par Abdul Alhazred.

 Traduit en grec en l’an 950 en tant que Necronomicon par Théodore Philetas.

 Brûlé par le patriarche Michael en 1050 (donc, le texte grec). Le texte arabe considéré comme perdu.

 Traduit du grec vers la latin par Olaus en 1228.

 Banni en 1232 (latin et grec) par le pape Grégoire IX.

 14..., imprimé sous le manteau en Allemagne.

 15..., texte grec imprimé en Italie.

 16..., réimpression espagnole du texte latin.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 23 novembre 2013
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