Mathieu Bénézet | Mais une galaxie...

disparition de Mathieu Bénézet, ce 12 juillet 2013


L’écrivain ne peut pas peser de tout son poids sur la langue ou sur la littérature. Ainsi on court le risque d’assister à un effondrement. Ce n’est pas un être qui vacille et chancelle - encore moins un concept. C’est, peut-être, simplement la possibilité d’écrire et de parler. Telle est mon expérience ; telle est ma difficulté. Te disais-je. S’il y a du "tragique" là-dedans, c’est dans une résistance, une violence qu’empreint notre commune fragilité.
(Oui, ce mot me hante pour ce qu’il me parle de toi).

D’une certaine façon, la littérature est plus compliquée que les livres. Le livre n’est que le provisoire d’une écriture. Oui, malgré "ce que je sais" je continue.

Mathieu Bénézet, extrait de la postface à Mais une galaxie, Obsidiane/Le Temps qu’il fait, mars 2005 et 3 extraits ci-dessous.

 

Mathieu Bénézet est disparu hier, le 12 juillet 2013. C’est bizarre pour moi, parce que je n’ai jamais imaginé Mathieu parlant d’un lieu déja ancré de l’autre côté.

En tout cas depuis cette vieille défiguration, l’accident qui avait défiguré le visage, et les expériences destructrices successives, tout ça résonnait tout le temps dans sa voix.

On se connaissait depuis 1982, je le lisais depuis longtemps à ce moment-là, et notamment ses livres chez Digraphe, ce que je mets au plus haut de son travail. La non-renonciation devant le narratif, le récit dans cette acuité d’Artaud et Bataille.

Un dialogue avec Jean Ristat, dans le magazine communiste France Nouvelle, au festival d’Avignon en 1980, avait été une sorte de manifeste fondateur pour beaucoup d’entre nous. Le droit au lyrisme. L’accueil fait à des voix comme celles de Jean-Paul Goux ou Philippe de la Genardière.

Ces années 1982-1984, je le retrouvais rue Daguerre et on passait de pleines après-midis à parler. Et comme il recevait plein de services de presse de livres d’art, mais que tous les bouquinistes le connaissaient, on allait faire les boutiques, et les types, ne me connaissant pas, m’en donnaient meilleur prix qu’à lui.

Une fois, gravement, il m’avait serré la main, disant que Breton la lui avait serré comme ça, et lui avait dit : –– C’est une poignée de main qui vient directement de Rimbaud, ne la galvaudez pas.

La dernière fois qu’on s’est vu c’est il y a 2 ans, à France Culture, dans une émission sur Collobert qu’il avait voulu produire, j’avais lu des extraits de Meurtre.

C’était devenu difficile. L’alcool, quand au bout de l’alcool. Puis, plus fondamentalement, cette fascination pour Breton qui lui faisait prendre au sérieux le rôle de grand écrivain, et aigri que ça ne prenait plus, certainement, aussi. Je n’ai jamais marché dans ces plans-là.

Adieu pote, tu seras mieux là-bas. Garder pour soi ce qu’il a pu vous raconter, pendant 30 ans, le Mathieu. Pensées pour Antonin.

 

Mathieu Bénézet | Mais une galaxie...


Quelque poème que ce soit n’est pas

la poésie, mais toute vie

dans le monde, avec l’accen

tuation entre deux catastrophes,

avec le déchirement de la perte,

quand tu serres trop près

ton coeur Quand par compassion

tu as les mêmes bras

du nouveau-né Quand tu fais

la même erreur de parler

de la matière, de la réduction

du spectre Quelque poème que

ce soit n’est pas la poésie

mais l’abîme initial et final

entre deux fragments d’écrire,

la rupture de la strophe, la rupture

d’une seconde de ciel ;

les infimes particules qui répètent

toute chose dans le ciel,

l’illusion de demeurer grâce

à l’irréductible marge

de la voix humaine


Ô formes vivantes, elles n’ont pas de

fin, elles sont

la lumière et le fleurir de nouveau

des nouveaux fruits, si près de nous

dans un sommeil

plein de rames et de rêves : "on

peut renaître", murmurent la mer

et les jardins ; et les piailleries des

enfants nous fortifient malgré

l’âge dont nous sommes C’est si soudain

le mouvement de nos coeurs dans le cri

des enfants, la première fois où se bâtit

un nid, quand flambent les collines de

pins dans la chambre Ô yeux dans l’ex

plosion des feuilles et des grenades

de Crète que nous disposons sur

la toile cirée de la petite table,

devant la couche ; battement des

mouettes dans le ciel, chambre de

méditation Parfois on vieillit et

meurt sans jamais avoir frappé à

la porte dans un rêve perdu entre des

bras ouverts

 

*

 

Ô mélange si profond des bras dans le

poème, syllabes miroitantes au bout

de la jetée, gouffre du sommeil Une tête se

penche sous l’orage, où tu remues la bouche

Comme si je fermais les yeux vers toi Roses

dans la petite gare A présent le train

est sombre, dis-tu Mélange si profond des bras et

du poème Ô lumière des fruits Je rêve

contre l’épaule incréée du poème Âme

du sommeil dans ce chenal Quelle parcelle

de murmure est à la proue ? Tu es là

 

*

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 3 avril 2005 et dernière modification le 13 juillet 2013
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