Anne-Sophie Barreau | Modiano tous les jours

–> AUSSI DANS CETTE RUBRIQUE
L’AUTEUR

Anne-Sophie Barreau est née en 1973 à Angers et vit à Paris où elle est aujourd’hui journaliste indépendante. À lire sur publie.net : Retour Pôle Emploi.

Entre 2008 et 2010, elle a travaillé pour la coopération française au Burkina Faso. Depuis son retour d’Afrique, elle fait de fréquents séjours à San Francisco.

Sur Twitter : @asbarreau.

Aussi sur nerval.fr, d’Anne-Sophie Barreau : Buttes-Chaumont et La Bel-Air.

LE TEXTE

L’auteur est la construction imaginaire que chacun se fait depuis sa lecture, souvent en miroir. De Henry James aux Rencontres avec Samuel Beckett de Charles Juliet, sans même remonter au Bergotte de Proust, l’opposition alors de cet homme imaginaire et de l’écrivain dans son quotidien est sans doute une des médiations les plus favorables pour revenir en posture d’auteur à son écriture à soi. C’est ce qui est troublant dans ce texte, dont le jardin du Luxembourg devient le théâtre pour un de nos plus secrets aventuriers de la langue et des livres. FB.

Aujourd’hui, Patrick Modiano a acheté la presse, il rangeait l’édition du jour d’un quotidien, plié comme le sont dans les films américains les journaux lancés au pied des maisons, dans un sac relais H quand je suis passée à sa hauteur.

Quand il est seul, situation la plus fréquente, Patrick Modiano entre et sort du Jardin du Luxembourg par les mêmes côtés, il le traverse en diagonale.

Patrick Modiano est grand et porte, presque toujours, le même imperméable clair, je le reconnais de loin. Un jour, je l’ai vu de dos marcher aux côtés d’une femme qui poussait un landau dans l’allée longeant le Musée du Luxembourg.

Le jour de mai où j’ai vu Patrick Modiano pour la première fois au Jardin du Luxembourg, j’étais sous le choc de la visite faite la veille à ma grand-mère à Angers, la dernière.
Il était arrêté et s’entretenait avec un homme. Je l’ai entendu dire « oui je me souviens, c’était Quai Saint-Michel ».

À présent, je peux dire l’endroit précis où se trouvait Patrick Modiano ce jour-là, c’était à égale distance du médaillon en bronze exécuté par Rodin représentant Stendhal et de la plaque commémorative apposée près de la porte Royer-Collard. « Ici est tombé pour la libération de Paris le 25 août 1944 le cuirassier Jean Arnould de l’escadron de protection de la Division Leclerc »

Souvent, quand je croise Patrick Modiano – c’est le mot, nous avançons l’un et l’autre dans la même allée du jardin dans des directions opposées et un bref instant, son corps qui marche et le mien qui court, se croisent – je voudrais m’arrêter et lui parler.

Depuis qu’il fait froid, Patrick Modiano porte parfois un manteau en laine noir.

Un ami lettré, grand amateur de Frédéric Berthet, qui sait que je vois fréquemment Patrick Modiano lorsque je vais courir au Luxembourg, s’exclame un jour : « non, mais ce n’est pas croyable, c’est un vrai footing dating ! »

Enfant, c’est en lisant « Rue des Boutiques Obscures » que j’ai commencé à rêver de Paris, j’aimais les noms de rue, j’aimais les numéros de téléphone. Et que ces bottins et ces annuaires constituaient la plus précieuse et la plus émouvante bibliothèque qu’on pût avoir, car sur leurs pages étaient répertoriés bien des êtres, des choses, des mondes disparus, et dont eux seuls portaient témoignage.

Patrick Modiano et sa femme – j’ai vu des photos de Dominique Zehrfuss dans la presse au moment de la parution de « Peau de Caniche » – se promènent un jour ensemble au Jardin du Luxembourg. Justement, tout près d’eux, un petit chien qui ne semble en faire qu’à sa tête, jappe.

La femme qui poussait le landau était probablement Dominique Zehrfuss.

Enfant, j’étais en souffrance face à la souffrance de Patrick Modiano sur le plateau d’Apostrophes.

J’ai beaucoup écouté la chanson « Le baiser Modiano » de Vincent Delerm il y a quelques années.

Quand j’ai fini de courir et qu’à proximité du lion je m’étire, parfois j’aperçois au loin la silhouette de Patrick Modiano. Je m’interromps et le suis du regard jusqu’à ce qu’il ait disparu.

À quoi pense Patrick Modiano quand il traverse le Jardin du Luxembourg ? Que changent les arbres, la lumière dans les feuilles, les statues, les bancs, les chaises, la buvette, le kiosque, les balles de tennis volant au-dessus des filets, le Palais du Luxembourg, les fontaines, les allées fraîchement ratissées, les fleurs, le rucher, le grand bassin ? Que changent les promeneurs, les gens qui courent ?

Quand je vois Patrick Modiano, je me rappelle qu’étudiante, venant à pied de la place Saint-Sulpice où mon bus s’arrêtait, je traversais chaque matin le Jardin du Luxembourg avant d’aller en cours.

Quand je vois Patrick Modiano, je me rappelle le jour où je suis allée pour la première fois au Jardin du Luxembourg. D’Angers, j’avais pris le train pour m’inscrire à l’université, la matinée n’avait pas suffi pour venir à bout de toutes les formalités, à l’heure du déjeuner, depuis la rue Soufflot, j’avais pris la direction du jardin et mangé un sandwich sur un banc, il faisait beau, le matin, j’avais choisi la tenue que je portais avec soin, je voulais faire honneur à ce voyage et à la nouvelle vie qui bientôt m’attendait, un homme qui allait de banc en banc, là où étaient installées d’autres jeunes filles en fleurs, avait tenté sa chance avec moi, j’avais eu toutes les peines du monde à m’en débarrasser, une Parisienne aurait certainement été plus expéditive, mais il avait fini par partir et j’avais prolongé autant que possible ce moment dans le jardin.

Un jour, nous nous croisons à plusieurs reprises, Patrick Modiano sort du jardin quand j’arrive, il revient alors que je suis près des grilles, il emprunte l’allée où je cours à contresens.

Plusieurs fois, il m’est arrivé de voir Patrick Modiano échanger quelques mots avec des admirateurs, j’ai saisi au vol des indications de lieux dans Paris, observé son extrême courtoisie, c’était toujours le samedi. À présent, je vois Patrick Modiano en semaine, plus jamais le samedi.

À une amie qui vient d’acheter l’anthologie réunissant dix de ses plus grands textes, j’apprends que je croise très régulièrement Patrick Modiano au Jardin du Luxembourg.

Un matin que je vois Patrick Modiano, le soir, je lis un article au sujet du premier roman de Marie Modiano, Upsilon Scorpii.

J’apprends que l’architecte Bernard Zehrfuss, père de Dominique Zehrfuss, est né à Angers. Je pense que cela me fait un point commun, même lointain, avec Patrick Modiano.

J’aimerais que Patrick Modiano sache qu’au début des années 80, dans une chambre d’une maison d’Angers, j’ai lu « Rue des Boutiques Obscures ». Je voudrais lui dire que je n’ouvrais le livre qu’en fin de journée. À expérience unique, rituel unique, plus tard, la lumière serait allumée à l’occasion d’autres lectures, mais rien ne remplacerait le souvenir des pages de « Rue des Boutiques Obscures » lues le plus près possible de ma lampe de chevet.

Les jours où je ne vois pas Patrick Modiano – ce ne sont en effet étrangement jamais les mêmes – il m’arrive de reconnaître des hommes connus en train de courir. L’un d’eux incarne idéalement l’homme français selon les Cahiers du cinéma, un autre a joué les chansons d’un récent album à la station de métro « Jaurès », au sujet du troisième, je repense amusée à ce qu’une amie m’en disait il y a quelques années, « il les attire toutes dans sa garçonnière », un autre enfin est sur le devant de la scène, c’est drôle pour quelqu’un qui comme Henri David Thoreau en son temps, cultive le retrait, à l’ami qui court à ses côtés, cet homme dit un jour : « C’est sur la vilenie intrinsèque de l’homme ».

Patrick Modiano ne court pas, il marche, comme Robert Badinter qui lui aussi porte un imperméable, mais il est court et ressemble à celui de John Steed dans la série Chapeau melon et bottes de cuir, tandis que l’imperméable de Patrick Modiano est long, et évoque plutôt spontanément celui d’Humphrey Bogart dans Casablanca.

Autrefois, l’amie qui a acheté l’anthologie des textes de Patrick Modiano, a eu un amant prénommé Benoît. Comme il était taciturne et qu’elle est une femme passionnée, je lui avais lancé « Étonnez moi Benoît.... ! » lui révélant du même coup que la chanson de Françoise Hardy avait été écrite par Patrick Modiano. « Étonnez-moi Benoît, Jouez du pipeau, Accrochez-vous aux rideaux, Attrapez-moi au lasso, Et jouons au rodéo, étonnez-moi.. »

Un jour que je vois Patrick Modiano, le soir j’ouvre un album de photos d’André Kertesz dans une édition de 1945 que j’ai trouvé dans une brocante à San Francisco intitulé Day of Paris. Dans la partie « Morning » qui précède « Afternoon » et « Night », mes yeux s’arrêtent sur trois photos prises au Jardin du Luxembourg. Sur la première, un homme qui porte une casquette de la même couleur claire que le tablier qui descend bas le long de ses jambes sans que l’on sache où il a été attaché – à la taille ou au cou – en raison de la veste noire qui le recouvre sur la partie haute, balaie le bassin vide de la fontaine Médicis. Sur la seconde, le sol près de la fontaine est tapissé de feuilles et le prêtre de l’église Saint-Sulpice lit le journal jambes croisées sur un banc si peu espacé de ceux qui l’entourent qu’ensemble ils donnent l’impression de former une même bande circulaire. Sur la troisième, un homme jeune assis dos à un arbre – le corps indolent sur une première chaise, les jambes relevées repliées sur une seconde où elles prennent appui – regarde en direction de la fontaine.

J’ai croisé Patrick Modiano en mai, juin, septembre, octobre, novembre, décembre, janvier, février.

Juillet et août sont des exceptions.

En juillet, mon premier texte a été publié.

En août, nous avons sillonné les routes de Californie pour la dernière fois avant longtemps peut-être, et fêté ensemble mes 40 ans.

Je pense n’avoir jamais autant vu Patrick Modiano qu’en septembre et octobre. « …never is the Luxembourg Gardens as beautiful as in autumn » dit une légende que ne pourrait pas reprendre à son compte l’homme qui balaie les feuilles dans le bassin vide de la fontaine Médicis dans le livre de photographies d’André Kertesz.

À cette époque, après avoir croisé Patrick Modiano, souvent, je voyais le même groupe de lycéens, filles et garçons réunis, assis au sommet des bancs ou bien au sol en tailleur, la boombox à portée d’oreilles, j’ignorais quels groupes ils écoutaient, mais le son m’était familier et me rappelait ces heures où jadis, curieuse et amusée, mais pressée en même temps de retrouver la solitude de ma chambre où j’écoutais en boucle Leonard Cohen, je suivais quelques amies en total look noir férues de rock alternatif dans les MJC autour d’Angers.

Été comme hiver, Patrick Modiano porte le même imperméable. Je le soupçonne de choisir son manteau noir quand il fait froid uniquement pour le plaisir qu’il a ensuite à retrouver son imperméable.

Patrick Modiano ne le sait pas, mais le matin, quand je le croise au Jardin du Luxembourg, des mots, des phrases d’un texte que j’écris me viennent. Chez moi l’après-midi, je m’installe devant mon ordinateur et je me souviens de ces mots autant que de sa silhouette vue quelques heures plus tôt au Jardin du Luxembourg. J’ai terminé d’écrire ce texte à la mi-décembre. J’aurais voulu le dire à Patrick Modiano quand je le croisais avant Noël.

Patrick Modiano ne le sait pas non plus, mais quand je le vois, il me tarde de l’apprendre à Simon à des milliers de kilomètres de là. Après la course, je le lui dis dans un mail qui, quelques fois aussi, contient des photos du jardin que je viens de prendre. La pensée que la distance entre nous est pour quelques secondes abolie me réconforte. Le souvenir des photos argentiques prises ici même au printemps 2006 n’est pas loin. C’était notre premier printemps ensemble, le seul à Paris. Assis près d’un arbre, des jeunes pique-niquant derrière lui, Simon porte un polo bleu. Assise ou debout regardant la fontaine Delacroix, je porte un trench marron. D’autres printemps ont suivi, mais sous d’autres cieux, au gré de mes visites – l’année entière passée ensemble en Afrique est une exception – à Simon qui, depuis, vit à l’étranger, passant d’un continent à un autre.

Entre septembre et décembre, je suis restée à Paris, je n’ai cessé de voir Patrick Modiano. Le 31 décembre, je l’ai guetté, l’année ne pouvait s’achever sans que je le vois. Il était là, marchant dans le sens du retour. Peut-être était-il près de chez lui. Où allait-il passer le réveillon ? Ce soir-là, à Chassins, près de Reims où nous dînerions au milieu de centaines de photographies et de livres, je penserais à Patrick Modiano. À minuit, au-dessus des verres entrechoqués, je sourirais à nos amis, l’expression sur mon visage serait différente au moment de sourire à Simon tout juste retrouvé, le moment serait joyeux, je n’aurais aucune idée de ce qui m’attendrait

Quand je croisais Patrick Modiano avant Noël, je pensais impatiente aux retrouvailles avec Simon, à notre départ ensemble dans ce pays où il vivait désormais où je passerais trois semaines avec lui. Mon séjour à Tanararive a finalement été plus court que prévu. Dans cette ville que j’ai si peu vue, je suis très souvent allée courir dans le parc botanique et zoologique de Tsimbazaza.

Cher Patrick Modiano,

A Tsimbazaza, j’ai vu des familles, des écoliers occupés cahier en main à quelques minutieux relevés, des amoureux venus ici tout exprès s’avouer quelques secrets. Personne d’autre que moi ne courait. Amusés, les vétérinaires en blouses blanches, les jardiniers, m’ont cependant toujours saluée avec bienveillance. Je ne vous ai pas vu à Tsimbazaza, j’étais prise dans la tourmente, j’ignorais si lever les yeux vers une maison en haut d’une colline me faisait du bien ou du mal, mais je savais de façon certaine que le relief de plus en plus familier du parc à mesure de mes visites ancrait mes pas dans un sol qui, sans cela, se serait dérobé.

Dans le parc, cela vous aurait plu sans doute, j’ai vu un monument, don de l’Académie des sciences d’outre-mer de Paris. Une plaque précisait : Place Alfred et Guillaume Grandidier, Explorateurs, leur monumental ouvrage commun « L’Histoire physique, naturelle et politique de Madagascar (1875-1954) en 39 volumes » demeure la base des travaux de ceux qui s’intéressent au passé comme au présent de Madagascar. J’ai parcouru l’allée Pierre Boiteau (1911-1980), directeur du parc de 1935 à 1947, l’allée Raymond Decary (1891-1973), administrateur et naturaliste, et l’allée Henri Humbert (« Vazaha Bevoninkazo » 1887-1967), botaniste.

Dans les cages – et peut-être ces oiseaux, dont pour certains il était précisé qu’il s’agissait d’espèces endémiques à Madagascar, vous auraient-ils plu aussi – j’ai vu un pygargue de Madagascar, un faisan doré, une Sarcelle de Bernier, un Ibis sacré, un dendrocygne veuf, un milan noir, un petit perroquet. Et juste à côté des cages, un crocodile. « Filazana ! » avertissait un panneau posé de travers le long du grillage.

Après avoir traversé la Palmeraie – et je vous imaginais bien là, majestueux au milieu des arbres – , j’ai, chaque fois, consciencieusement fait le tour d’un endroit en friche dissimulé par des feuillages. Sur ce terrain de football improvisé, je n’ai jamais vu jouer personne, j’étais seule à passer à proximité des poteaux de but, mais des enfants sortaient régulièrement des bosquets, je devinais qu’il s’agissait de leur terrain de jeu préféré.

Un jour, me voyant arriver, un homme aux lunettes d’acteur américain devant un bâtiment administratif – un employé du parc travaillant dans les bureaux sans doute – m’a emboîté le pas, tenu le bras quelques mètres – me soufflant « On y va, on y va » – avant de le relâcher.

J’aimerais vous dire qu’un jour, près de ce terrain, se tenaient deux enfants dont le plus jeune, se retournant vers moi et me souriant, m’a bouleversée. Qu’un jour encore, j’ai vu un jeune jardinier. À chaque fois que je passais près de lui, il coupait des feuillages à la serpe, entièrement absorbé par son travail, tête baissée. Je me demandais quelles étaient ses pensées. Au dernier tour, il était arrêté. Debout à quelques mètres du grand panier tressé au bord duquel était posé un balai en rotin, son charisme soudain a tout immobilisé, le mouvement s’est réenclenché lorsqu’il m’a saluée, digne, fier, le regard empreint d’une grande douceur.

J’aimerais vous dire que ce n’est qu’à la toute fin, le dernier jour ou l’avant-dernier peut-être, que j’ai remarqué la boutique du zoo à l’entrée et, un peu en retrait, l’enseigne d’un restaurant, dont à l’exception de « cuisine européenne » écrit en gros, je n’ai pas réussi, de là où j’étais, à lire toutes les inscriptions.

De Tananarive, je n’ai vu, vraiment vu, que Tsimbazaza et la maison sur les hauteurs d’Ambohipotsy.

À mon retour, dans mes affaires, j’ai retrouvé mes tickets d’entrée, lettres rouges PBZT sur fond vert, tampon et date du jour, mention du droit d’entrée : 10 000 Ariary. C’était entre le 6 et le 16 janvier. Je pourrais vous les montrer.

Aujourd’hui, 22 janvier, Patrick Modiano a acheté la presse, il rangeait l’édition du jour d’un quotidien, plié comme le sont dans les films américains les journaux lancés au pied des maisons, dans un sac relais H quand je suis passée à sa hauteur

Aujourd’hui, 29 janvier, il pleuvait, le jardin du Luxembourg sous la grisaille était presque désert. Au moment d’entamer le dernier tour, je n’y croyais plus quand soudain, non loin du grand bassin, j’ai vu Patrick Modiano, sa haute silhouette revêtue du traditionnel imperméable encore allongée par le parapluie noir à larges baleines élevé très haut. De l’autre main, il tenait un sac en plastique blanc sur lequel se détachaient en rouge à l’horizontale les mentions be zen, be positive, et d’autres encore que je n’ai pas pu lire. Le sac, à coup sûr, contenait des journaux, des magazines (il se confirme que le mercredi Patrick Modiano achète la presse). En réalité, il ne le tenait pas, le sac était plutôt suspendu à son bras, il avait passé son poignet sous les anses. J’ai vu la haute silhouette de dos progressivement disparaître dans les allées du jardin.

Aujourd’hui, 5 février, Patrick Modiano a joué à me faire peur. Je suis sortie du Jardin du Luxembourg sans l’avoir vu, incrédule. C’est alors que m’apprêtant à traverser le boulevard Saint-Michel, je l’ai reconnu de l’autre côté du trottoir. Nous nous sommes croisés sur le passage piéton. Je sais à présent où Patrick Modiano achète la presse. « Qui est le chat ? Qui est la souris ? » me dit plus tard Simon.

Aujourd’hui, 8 février, un samedi à nouveau, Patrick Modiano, sac dans une main, parapluie replié dans l’autre, marchait légèrement vouté à cause du vent. La force de celui-ci n’était pourtant pas telle qu’elle obligeât à se pencher. C’est la veille qu’il y avait eu une tempête. J’ai pensé que Patrick Modiano avait dû traverser le Jardin du Luxembourg et qu’aujourd’hui encore, les mouvements de son corps conservaient la trace de cette lutte contre le vent. J’ai remarqué le col matelassé de son imperméable, conséquence de l’ajout d’une doublure sans doute, et ses yeux concentrés derrière des lunettes à larges montures.



Tiers Livre Éditeur, la revue – mentions légales.
Droits & copyrights réservés à l'auteur du texte, qui reste libre en permanence de son éventuel retrait.
1ère mise en ligne et dernière modification le 2 mars 2014.
Cette page a reçu 1516 visites hors robots et flux (compteur à 1 minute).