Berit Ellingsen | À Caras Galadhon, dans la Lorien

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L’AUTEUR

C’est une de mes grandes fiertés, au bout de l’expérience publie.net (2008-2014 pour moi) d’avoir pu traduire et publier, numérique et papier, ce livre étonnant qu’est Une ville vide de Berit Ellingsen, quête onirique de soi-même dans les contextes urbains les plus symboliques de la modernité.

Berit Ellingsen est norvégienne, d’origine coréenne, écrit en norvégien pour des journaux et revues scientifiques (la précision de son travail en est certainement issue), notamment sur l’écologie des systèmes polaires, qu’elle arpente régulièrement. Comme de nombreux auteurs du nord de l’Europe, elle écrit directement ses fictions en anglais et publie aux États-Unis.

Pour accompagner Une ville vide, j’avais aussi traduit ici-même une nouvelle de son deuxième livre, Dans le blanc.

On se reportera au site de Berit Ellingsen pour ce qui concerne son livre juste paru, Not dark yet.

On peut la suivre sur Twitter @BeritEllingsen ou sur Facebook.

LE TRADUCTEUR

Hervé Jeanney vit et travaille en Normandie depuis toujours mais ne l’a officialisé qu’en 2014. On a accueilli dans la revue son Abécédaire arbitraire du cyclisme de course. Le suivre sur Twitter : @rvjeanney.

LE TEXTE

La nouvelle proposée ici a été publiée en avril 2015 par la revue Atticus, sous le titre Meet me at the fountain in Caras Galadhon.

Elle a été traduite ici (et annotée) par Hervé Jeanney, à commencer par une raison simple, nous dit-il : « Berit et moi partageons le goût des jeux de rôle en ligne, dans des mondes vastes et ouverts, où la géographie se fait tour à tour précise, familière, inquiétante et nostalgique. Le jeu ici décrit est une version inspirée du Seigneur des anneaux, connue sous l’acronyme LOTRO (Lord Of The Rings Online). »

FB

Retrouve-moi près de la fontaine à Caras Galadhon, dans la Lorien, là où les arbres sont dorés et immenses. L’extension [1] étant sortie depuis longtemps, je serai la seule joueuse là-bas, le reste ce sont des pantins contrôlés pas l’IA [2] qui font semblant d’exister, qu’on soit là ou pas, et qui continueront jusqu’à ce que le jeu s’arrête. Dans la fontaine, il y a une magnifique statue d’un cygne blanc déployant ses ailes comme s’il venait d’amerrir ; tout est recouvert de feuilles orange, rouges et jaunes, et les rais d’eau reflètent les lampadaires, les arbres-maisons et les plate-formes tout autour. Là-bas la lumière est toujours tamisée et brumeuse, à cause de l’effet de flou lumineux des graphiques, qui dans cette zone est particulièrement fort. Ce n’est pas fait pour masquer la visibilité, mais pour souligner les effets graphiques. De la fontaine, on descendra par le jardin de Galadriel, on sortira par les portes de sa ville, et on entrera dans la Forêt Dorée elle-même. Ne t’inquiète pas en voyant que les arbres, les pierres et les bosquets se ressemblent tous, c’est fait exprès pour donner l’impression au joueur d’être dans une vallée inquiétante. N’y fais pas attention, ça te semblera vite normal.

Au Sud de la ville, on atteindra les jardins d’Imlad Lalaith, la Vallée des Rires, où d’incessantes fêtes se succèdent autour des tables et sous les lanternes. Une fois j’ai rencontré un joueur qui avait baptisé son avatar Lalaith, parce qu’il voulait être heureux tout le temps. Il a quitté le jeu, fondé une famille et eu un enfant, donc peut-être que ça a fonctionné. Depuis les quais d’Imlad Lalaith on pourra traverser l’Anduin, large et tumultueux, mais de l’autre rive on ne pourra atteindre que Mirkwood, une zone qu’on a déjà explorée, donc à la place on suivra la rivière en direction de la Forêt dorée. Là, les mobs [3] seront des ours, des loups et des brigands, et bien sûr, puisqu’on n’est pas si loin de Mirkwood, on tombera à l’occasion sur un orque ou un gobelin, mais pas de problème pour les battre.

Bientôt, le pays s’ouvrira sur une plaine ensoleillée, recouverte de lavandes, d’anémones, de trèfles cornus et de buissons touffus et rampants. Les pavés de la route, tout craquelés, semblent révéler une ancienne voie marchande, même si ce revêtement virtuel ne s’usera jamais, quel que soit le nombre de voyageurs qui l’emprunteront. Ce passage a sans doute beaucoup servi au début, au moment où la région a été ouverte aux joueurs, mais depuis la plupart d’entre eux ont migré vers des zones plus récentes et de plus haut niveau.

Dans cette zone, la plus grande ville, c’est Stangard, à la frontière du Rohan, du Gondor et de l’Est inconnu. Beaucoup de PNJ [4] qui vivent ici ont été bannis du cœur du Rohan pour des petits délits, et doivent désormais vivre exilés. La cité est protégée par un très haut mur fait de troncs gigantesques, de grandes tours de guet et de palissades herbues. Et ces fortifications abritent de petites maisons à toit de chaume, avec leurs sculptures de chevaux bondissants sur les corniches et leurs braseros réconfortants.

En direction du Sud-Ouest depuis Stangard se dressent les ruines gondoriennes de Parth Célébrant. Si on tend bien l’oreille, quand la nuit tombe, on peut entendre les plaintes et les cris des morts sans repos à l’intérieur. C’est un endroit très étroit, reste près de moi quand on traversera le pont afin de ne pas prendre l’aggro [5] sur les monstres du coin. Encore plus loin vers le Sud-Est se trouvent les Marais de Rushgore, infestés d’insectes prêts à piquer, de tortues prêtes à mordre et de lézards cracheurs de feu qui se cachent derrières d’épais fourrés de roseaux. Là nous devrions pouvoir traverser à gué le Grand Fleuve, mais les Bois Noirs sur l’autre rive sont pleins de sorciers orientaux, donc on y reviendra quand on aura gagné quelques niveaux.

A la place on suivra la fausse vieille route du Gondor, au Sud, et on traversera le pont du Rohan de l’Est ; Eastemnet et sa région la plus septentrionale, le Wold. Là, les villes de Langhold et Harwick sont bâties sur le même modèle que Stangard, à ceci près que les textures semblent plus jolies et plus propres. Et pourtant plutôt grossières comparées aux arbres-maisons de Caras Galadhon, tu trouves pas ?

Une fois qu’on apercevra Eastemnet on aura aussi vu Westemnet, sur la carte du Rohan occidental, ils ont utilisé beaucoup de visuels répétitifs pour construire cette zone. Jusque-là, les deux extrémités du pays des chevaux ressemblent à des plaines couvertes à perte de vue de fleurs sauvages, de chevaux sauvages et d’orques sauvages, avec de-ci de-là quelques bouts de forêt et de montagnes, surtout en haut de la zone, à Kingstead, en Rohan occidental, où des catacombes hantées parsèment la route du Gondor. On n’ira pas là tout de suite. A la place on suivra le chemin qui grimpe depuis les champs du Wold vers le haut-plateau qui les domine. On devra peut être lancer l’aggro sur les orques et les gobelins du passage, mais ce ne seront pour la plupart que des monstres communs, avec un ou deux élites [6].

Les hautes-terres de ce plateau, connues sous le nom de Wildermore, sont parmi les plus singuliers des paysages qu’on puisse trouver sur la carte du Rhovanion. Seule la région de Forochel, bien plus lointaine, dans l’Eliador septentrionnal, près de la Mer Belegaer, est plus froide et plus enneigée. Ça ressemble un peu aux Montagnes Brumeuses du début du jeu, quand on était enthousiastes et débutants et qu’on n’imaginait pas jouer à autre chose, tu te souviens ? Toute la Wildermore n’est certes pas enfouie sous la neige, dans les régions les plus au Sud et plus basses en altitude on voit de la bruyère, de l’herbe et des sapins percer le tapis blanc, mais les parties centrale et nordique des hautes-terres sont intégralement gelées et semble immunes au printemps. Qui sait quelles forces ténébreuses ont causé ce bouleversement climatique, et pour combien de temps encore ?

Depuis les falaises au Sud du plateau, on peut voir jusqu’aux Sutcrofts, la zone la plus éloignée du Rohan, et proche du Gondor.. S’il avait été possible de regarder par dessus la crête des montagnes, sur le bord le plus au Nord de Wildermore, nous aurions aussi pu voir tout le chemin parcouru depuis Stangard, et même voir scintiller la Forêt Dorée dans le lointain, comme le rêve qu’est ce monde.

 


 



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1ère mise en ligne et dernière modification le 27 mars 2016.
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[1Un ajout au jeu de base.

[2Intelligence Artificielle.

[3Monstres, humains ou pas, qui attaquent les joueurs.

[4Personnage Non Joueur, contrôlé par l’IA (autrement dit par l’ordinateur)

[5Prendre l’aggro signifie attirer à soi les monstres, plus ou moins volontairement (par exemple pour qu’un-e joueur-se plus faible ne soit pas attaqué.

[6Monstre plus puissant que les autres bien qu’étant du même niveau affiché.