droits numériques des auteurs : contre l’esbroufe

le 4 février, à l’hôtel de Massa, 5 écrivains proposent une Assemblée générale contre les "inéquitables droits numériques"


Lors du débat SCAM (voir la vidéo intégrale), on a pu constater à nouveau le flou qui entoure la question des avenants numériques proposés par les éditeurs aux auteurs.

Flou sur les coûts : non, la répartition des coûts papier n’a rien à voir avec la répartition des coûts numériques, suis bien placé pour le savoir.

Flou sur les enjeux : quand un livre n’est plus disponible, l’auteur le fait constater et reprend ses droits. Si le livre n’est plus dispo, mais que l’éditeur garde le fichier numérique en distribution morte, c’est tintin pour les droits.

Des enjeux considérables :
 partout au monde sauf en France (et, chez nos voisins italiens ou allemands, la situation des auteurs n’en est pas pire pour autant), la durée des contrats de droits d’auteur obéit à la loi commerciale générale, dix ans maximum. C’est le point sur lequel le SNE est le plus sur ses ergots, sachant bien que c’est une bataille perdue (en tout cas, quand un agent défend vos droits, la clause des 10 ans est le premier point du contrat).
 dans le système de propriété intellectuelle française, le contrat auteur est basé sur le prix de vente. Dans le monde anglo-saxon, il est basé sur la recette. Avec le numérique, les abonnements, les cascades de diffuseurs, il est impératif de passer à un contrat basé sur la recette et non le prix de vente. Les éditeurs disent le contraire, du coup ils maintiennent les pourcentages au prix plancher (il y a 2 mois, j’avais reçu un contrat de Nil-Robert Laffont/Editis avec des droits papiers/numériques... à 6% – bien sûr j’ai refusé de signer).
 un rôle de l’auteur complètement transformé par rapport au système traditionnel – maintenir 40% des recettes pour la trésorerie issue de la distribution (la vache à lait du système contrôlé par les grandes maisons d’édition), et 8/14% pour l’auteur c’est de l’esbroufe pure et simple.
 une réponse en défense complètement brouillonne et méprisante des éditeurs, qui proposent une obscure clause de rendez-vous [1], c’est-à-dire : donnez-nous le droit de vous exploiter 2 ans, et dans 2 ans on verra si on peut vous exploiter mieux ou moins bien. Allez dire ça à la caisse de votre supermarché, ou imaginez un patron de la métallurgie dire ça à ses ouvriers...
 enfin, le contexte d’une apparente stabilité du marché du livre qui cache une recomposition de fond où la création n’a plus qu’une portion congrue, conduisant de très nombreux auteurs à cette posture de renoncement, puisque de toute façon ce ne sont pas les droits d’auteurs qui nous font vivre.

La force des auteurs : si beaucoup signent ces avenants par indifférence ou résignation (durée de vie moyenne d’un livre en librairie : 6 semaines), des centaines et centaines d’auteurs les refusent ou les gardent sur un coin de table en attendant d’y voir plus clair. Les éditeurs sont désormais conscients qu’ils ne feront pas l’économie du débat. Encore faut-il que les auteurs se mobilisent. C’est fait pour la bande dessinée, mais pas du tout pour la littérature.

C’est un fait très clair : sans avenant spécifique, la propriété des droits numériques, et donc la diffusion des versions numériques, appartient à l’auteur. Pour cela aussi que les auteurs défendus par des agents séparent droits numériques et droits imprimé, de même qu’ils séparent droits audiovisuels et droits étrangers.

Pour ma part, j’ai réglé la question : j’assure moi-même la diffusion numérique de mon travail via publie.net, où nous proposons aux auteurs un partage 50/50 des recettes.

Enfin, débat vicié parce que les éditeurs, pour protéger un marché papier de toute façon destiné à s’effondrer, y reconduisent des lois commerciales plutôt ineptes, fichiers bardés de DRM, prix de vente à peine défalqué de celui du livre – autant se tirer une balle dans le pied. Là encore, plus trop le temps de les attendre, mieux vaut rouler, et sur des bases différentes.

Benoît Peeters proposait lundi la rédaction d’un code des usages, ce serait le premier échelon. Et on pourrait y inscrire une rémunération auteur telle qu’elle se dessine dans les autres pays, une fourchette de 18 à 24% – indépendamment des autres formes qui naissent via la distribution directe.

Pour la première fois, voici une réaction solide d’auteurs, ils sont 5 à proposer une Assemblée générale, ce sera le 4 février et la SGDL fournit la salle. Merci donc à Paul Fournel, Hervé Le Tellier, Gilles Rozier, Gérard Mordillat et Cécile Guilbert.

Ci-joint l’invitation, et lien vers le texte que les mêmes cinq auteurs ont publié dans Le Monde] il y a un mois. Sur la vidéo SCAM, vous pourrez entendre les interventions de Gilles Rozier et Hervé Le Tellier, et la remarque finale d’Hervé : « Quand même, on voyage moins souvent à cheval, maintenant... » alors qu’il se disait que livre papier et numérique pouvaient coexister tranquillement quelques décennies...

Soutien absolu donc à l’initiative des cinq. Et ne vous gênez pas pour faire suivre l’invitation à votre carnet d’adresses mail, je mets le PDF ci-dessous :

FB

Ajout du 21/01 : pour comprendre ce qui se joue dans cette réunion, lire impérativement ceux qui nous entourloupent – le SNE (syndicat national des éditeurs) crève de trouille parce que les auteurs gardent les avenants au lieu de les renvoyer... les gnangnanteries du SNE dans Le Monde ce jour – chaque 2 mois ils en rajoutent une tartine, excusez-moi monsieur Gallimard, mais Hervé Le Tellier ça me paraît causer plus clair.

 

Inéquitables droits numériques


Chers amis et collègues auteurs,

L’arrivée du livre numérique dans le champ éditorial fait naître toute sorte d’interrogations, tant pour ce qui est de son avenir (se substituera-t-il un jour partiellement ou totalement au livre papier, amènera-t-il d’autres publics à la lecture) que pour ce qui est de la rémunération des auteurs sur ce support nouveau.

Le premier décembre 2010, nous avons fait paraître une lettre ouverte dans Le Monde, titrée par ce dernier « Inéquitables droits du livre numérique » , sur le sujet de la relation entre auteur et éditeur et sur la rémunération de l’auteur par l’éditeur dans le contexte nouveau du livre numérique.

Nous avons tous reçu, de la part de nos éditeurs, des avenants à nos contrats anciens proposant une cession des droits numériques. Certains ont signé cet avenant, d’autres ont préféré attendre d’y voir plus clair.

Les contrats pour de nouveaux ouvrages contiennent à présent tous une clause concernant le livre numérique, clause qui pour l’instant semble très inéquitable pour l’auteur.

Nous vous convions à une

Assemblée générale d’auteurs

Le vendredi 4 février à 17h00

Dans la salle Billetdoux de la Société des gens de lettres (SGDL)
Hôtel de Massa
38, rue du faubourg Saint-Jacques
75014 Paris

Lors de cette assemblée générale, des spécialistes du sujet nous éclaireront sur les enjeux techniques et financiers du livre numérique.

La salle est grande. Plus nous serons de fous, plus nous rirons, et moins nous nous sentirons isolés dans nos relations avec nos éditeurs. Donc, faites passer cette information à vos amis et connaissances auteurs eux aussi.

Paul Fournel, Cécile Guilbert, Hervé Le Tellier, Gérard Mordillat et Gilles Rozier

[1Et encore, sur la vidéo SCAM, vous entendrez Alban Cerisier – qui n’y est pour rien, et heureusement que côté numérique il en est quelques-uns comme lui – dire que cette clause de rendez-vous n’est intégrée dans les nouveaux contrats de sa maison (Gallimard) que si et uniquement si l’auteur le demande...


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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 janvier 2011
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