défi La Grange avec NumerikLivres : c’est en ligne !

défi (fraternel) à NumerikLivres : deux éditorialisations de La Grange – et même un petit jeu pour faire époque !


note du jeudi 1er décembre

 L’ange comme extension de soi en ligne sur publie.net, Avez-vous connu l’amour ? en ligne sur NumerikLivres, et... ce qu’en pense l’auteur, qui ne fera rien comme tout le monde jusqu’au bout. Autant dire mon désaccord profond, même si évidemment Karl nous pose à tous quelques questions essentielles.

note du mercredi 30
ça y est, côté Jean-François Gayrard comme du mien on est prêt, et commun accord pour mise en ligne ce soir à 21h... deux traversées d’un site mythique, deux lectures éditoriales... et, en avant-première :

et une réponse à l’identification de la photo, le livrel partira ce soir aussi !

et chez NumerikLivres, la proposition de couv :

note du lundi 28
J – 3, et une réponse à l’identification photo proposée !

note du samedi 25 (J – 5)
Ci-dessous, comment l’histoire a commencé.

Et donc, le terme jeudi 1er décembre, 0h00... Jean-François Gayrard, le fondateur de NumerikLivres, et moi-même, nous mettrons en ligne simultanément (nous reste quelques détails à régler concernant le décalage horaire, quant au prix, 3,99, il sera le même !).

Jef joue le jeu : on ne se dit rien sur ce que chacun prépare, sauf savoir qu’on a passé par les mêmes étapes [1]. Comment faire, avec dix ans de web (dont trois années de billets quotidiens), des interventions parfois absolument techniques au plus haut niveau du W3C, l’organisme qui définit les normes du web, un travail de photographe qui se suffit largement à lui-même, et une vie partagée entre le Japon et Montréal, regard sur sa Normandie natale, et toutes les escales de sa vie professionnelle ou des voyages sacs au dos.

Donc première phase, lire et relire, reprendre les archives. Voir l’écriture de Karl échapper à la gangue des premiers essais, se dégager de l’univers des blogs pour devenir l’exploration d’un univers d’écriture basé sur l’imaginaire des villes, de la géographie, et de comment la pensée web les articule dans un énoncé neuf. Trouver les points pivot dissimulés – un arbre, ou l’absence de réfrigérateur, ou l’emploi du mot sourire dans le défaut de langue.

Après, pas possible de dévoiler ici le titre que j’ai choisi, de même que Jef ne m’a pas donné le sien.

Les questions sont multiples : structure, réorganisation du récit, thèmes et chronologies – savoir, côté éditeur, ce que nous voulons faire lire. Aucune idée de comment Jef a traité le rapport texte/images, et ce n’était pas une décision facile à prendre. Et comment lier le livre numérique au site. Un site qui reste un objet à part, très peu de lien d’un article à l’autre (au début, il y avait lien vers article suivant et précédent), pas d’index ni de moteur de recherche interne.

Mais rarement l’impression d’avoir à faire à une matière aussi vivante : oui, éditer parce qu’écriture qui nous rejoint dans le plus essentiel du questionnement, cartes, villes, lecture, et ce monde tenu dans la main.

Jef comme moi on agit seuls. Y en a un qui rigole derrière, c’est l’artiste, le Gwen Catala, à qui l’un comme l’autre nous confions d’habitude l’invention de nos codes.

Juste pour vous dire que là, ce soir, après 10h non stop à voir l’objet décanter, se former, rassuré qu’il ait surgi pas du tout où je l’attendais, et de me dire que Karl non plus ne l’aurait pas vu surgir à cet endroit et comme ça. Arriver au lieu de l’obéissance.

Beaucoup pensé, aujourd’hui, à Sens unique de Walter Benjamin.

Plus que trois jours dans les manettes et les 4195 pages web que représente La Grange.

Et un petit jeu, maintenant, pour qu’on se sente moins seuls, et que vous ayez un bon prétexte pour visiter La Grange : les trois premiers à retrouver dans son site l’image ci-dessus et m’en envoyer l’adresse gagneront un eBook gratuit, lors de la mise en ligne de jeudi.

 

Histoire d’un défi à bord du train Bruxelles-Paris


Premier voyage de 2 jours à Louvain-la-Neuve ce dernier jeudi de septembre, prise de contact avec le groupe d’écriture, boulot tous azimuts. Puis retour le vendredi après-midi, dans la cohue d’ailleurs sympathique de tous les étudiants s’entassant dans le même tortillard pour quitter la ville artificielle, et d’Ottignies repartir qui à Namur, qui à Bruxelles.

Pas de place pour faire quoi que ce soit, que surveiller le monde via la lucarne de l’iPhone. Puis un peu plus tard, dans le train qui repart de Bruxelles-Midi vers Paris, trop de fatigue pour entreprendre un vrai travail, la petite lucarne reste là, journaux, blogs, info.

Magie du décalage horaire entre la Belgique et le Québec (toute une autre affaire qu’entre la France et le même Québec – toujours été surpris de comment ceux des Ardennes se sont approprié les forêts québécoises, et comment les parlers sont si proches en bien des choses), il est 10h à Montréal, l’heure où commence le BookCamp annuel.

BookCamp : ateliers informels, mais rendez-vous de ceux qui font et partagent le web. Nous venons de terminer le nôtre à Paris, des discussions similaires qui s’élancent sur la transformation des métiers du livre, les paradoxes de la lecture numérique.

Et, depuis mon année au Québec, je connais bien des participants et intervenants.

Il y a des années maintenant que je lis La Grange, le site de Karl Dubost, dans le même émerveillement respectueux, récits, photographies et voyages se mêlant aux lectures et à la vie quotidienne saisie avec une sensibilité peu commune ou bien rare, et une exigence éthique forgée à une expérience incessante de confrontation des civilisations. Ajoutez une dense réflexion sur le web lui-même, puisque c’est devenu même l’activité professionnelle de Karl. J’ai fait sa connaissance à Montréal, et pas besoin de se parler beaucoup pour le considérer désormais comme une sorte d’aîné favorable (il est bien plus jeune que moi), et un proche – sans demander d’ailleurs de réciproque. J’ai appris que son premier chemin avait été l’astrophysique, ce qui est peut-être la première cohérence de l’ensemble, à moins que ce soit tout simplement cette grange normande, qui a donné nom à son site.

Mais, si lecteur que soit Karl, pas moyen de lui faire adopter l’idée d’un livre numérique à partir de son site. Refus radical de toute démarche commerciale, qui le pousse même à des archaïsmes certains sur son site (interdiction d’entrer aux moteurs de recherche, pas de recherche interne ni d’index, pas de commentaires). Et bien sûr, rien ici que de respectable.

Mais alors que dans le train bondé, contournant lentement la suite des gares bruxelloises (Schuman, Luxembourg, Nord, Central, Midi, déjà je les sais...), coup de Trafalgar : par un message twitter de Jean-François Gayrard (Jef), de NumerikLivres, qui est lui aussi au BookCamp Montréal, j’apprends que Karl a révisé sa position, et serait prêt à confier à NumerikLivres un livrel traversant ses rêveries et balades.

Karl Dubost, Québec, février 2010 (et Clément Laberge qui fera l’arbitre !)

Alors là j’ai dû hurler dans la lucarne, et ça a dû faire trembler la moitié des serveurs de twitter : quoi, s’il change d’avis, c’est à Jef qu’il confie ses textes, et pas à moi ? Alors que déjà Benoît Mélançon est chez NumerikLivres au lieu d’être sur publie.net ? C’est au-delà du tolérable, de l’insupportable, du classifiable.

Énervé, j’étais, moi à qui ça n’arrive jamais. Je montais dans le Thalys, bondé aussi, et suis aussitôt parti dans un bombardement de messages qui a bien dû me faire perdre une dizaine d’abonnés.

En même temps, la discussion au BookCamp de Montréal s’orientait sur la différence de terminologie auteur/écrivain, les modes de rémunération par le numérique, les enjeux d’un accès au texte le plus large possible confrontés à la propriété intellectuelle du créateur, etc. Karl participe à la discussion parmi les autres (@Karlpro), l’ami cher René Audet (@reneaudet) tente de nous faire rehausser d’une pincée de conceptuel les enjeux évoqués, et le train quitte la Belgique pour traverser les plaines de Flandres.... Cela en même temps, qu’en France Lionel Maurel (@Calimaq, qui intervient aussi en direct depuis Paris dans l’échange, et dont j’ai encore en tête la plus que remarquable intervention à Marseille pour l’université d’été du CLEO) lance une série de billets sur le thème l’édition sous licence libre, une utopie ?.

Coup de théâtre retour alors : provocation qu’on l’imagine faire avec son petit sourire en coin et sachant très bien comment on va réagir, Karl annonce qu’il passe la totalité de son site en licence dite de paternité, c’est-à-dire qu’il l’ouvre à une possible exploitation commerciale, tout en le maintenant sous le principe de la licence libre.

C’est là, dans le fond de la fatigue et l’encombrement du train, plus une certaine anxiété, que je prends l’initiative du pari :
 nous prenons au sérieux le changement de licence de Karl Dubost, nous étant les deux éditeurs, Jean-François Gayrard pour NumerikLivres et moi-même pour publie.net ;
 nous inventons chacun (mais attention, j’ai dit à Jef : combat à mains nues, sans se faire aider de nos équipes, d’autant que notre nombreux personnel consiste surtout en Gwen Català qui travaille pour les deux) un parcours dans la Grange, pour en extraire – format libre, aucune contrainte de taille, de thème, d’images – chacun un eBook ;
 nous les publions (et découvrons) simultanément, le 1er décembre à 0h00, puisque notre distributeur est aussi le même, L’Immatériel-fr [2] ;
 pas de confrontation ni d’échange entre Jef et moi sur l’état d’avancement ni les choix.

J’ai appris à lire dans Jules Verne. Il regorge de paris fous, de défis à risque. Comme les Cinq cents millions de la Begum. C’est cela que j’ai en tête, aucune animosité bien sûr – avec Jef, imaginez-donc, au coude à coude depuis toute cette année ! Et il est bien plus fou que moi dans les idées, celui-là, c’est surtout en cela que je prends du risque. En fait, je suis sûr d’une chose : mettons nos approches d’éditeurs en confrontation, depuis un même corpus, et c’est le fait même de l’édition numérique qui paraîtra en relief.

Accord immédiat dudit Jef, il n’y avait pas à en douter. Je pousse le bouchon : nous manifestons ensemble notre engagement auprès de l’auteur à la façon traditionnelle, par un à-valoir significatif et égal pour nous 2. Là, on a achoppé sur l’auteur lui-même : dans la loi française, l’acte de publication doit obéir au droit de la propriété intellectuelle. Karl, en accordant cette licence d’exploitation commerciale via paternité, refuse tout autre contrat, et refuse tout argent. Discussion à 2 contre 1 tout lundi, suspension provisoire [3].

Alors je considère ce défi lancé. Quel lien du livrel avec le site, quel éclatement dans la lecture linéraire, quelle traversée des images et des lectures, quelle navigation qui rende compte de cet objet aussi semblable dans la complexité à ces cartes du ciel du XVIIe siècle ?

Le 1er décembre, sur publie.net comme sur NumérikLivres, la Grange se sera complétée, ou dédoublée, ou redoublée, de 2 livres numériques : quoi donc, en fait, sinon une clôture arbitraire et non définitive (la preuve, ce sera 2 clôtures et non 1 seule), assortie d’une facilité de propulsion et recommandation (présence chez tous nos libraires et diffuseurs, ce sont d’ailleurs les mêmes avec NumerikLivres), et d’un parcours organisé, rassemblant 2 des multiples visages de l’oeuvre complexe qu’est un site web, pour mieux y reconduire, l’interroger mieux.

Je n’ai pas la trouille : trop longtemps que je rêvais de venir récolter doucement ces textes et les assembler. Les 2 livrels seront forcément différents. L’autre versant du défi, c’est bien celui que Karl Dubost nous propose à Jean-François Gayrard et moi-même : comment rendre hommage à ce travail multi-forme, qui pousse si loin ses racines dans le temps, s’embarque quelquefois si radicalement dans la technique même ?

Alors on compte aussi sur vous pour nous suivre dans ce défi – et on ne s’interdit pas, n’est-ce pas Jef, d’en donner de temps en temps des nouvelles ? Et après tout, si on aime tant cette aventure de l’édition numérique, c’est bien pour ne pas savoir où elle nous mène.

 

[1Message de JFG, hier matin :

Je suis subjugué par son écriture, par sa poésie, par le contemporain de ses textes, j’ai vraiment le sentiment de rentrer dans l’intimité de ce gars, je suis dans le grenier de son intimité. Mais putain que ce pari n’est pas facile. C’est là qu’on se dit qu’un éditeur ça sert à quelque chose.

Je suis à la fois excité de faire ce travail et en même temps inquiet. J’espère que cela permettra d’alimenter un débat intelligent sur le travail d’édition et le Web littéraire...

[2L’Immatériel qui annonce ce soir le lancement de la première librairie numérique grands comptes pour les bibliothèques, avec mode d’emploi et tarifs – ainsi, immense merci à la bibliothèque universitaire de Lausanne qui vient de décider l’achat d’un fonds de 1000 titres numériques, dont 315 publie.net.

[3A noter que Karl Dubost sera présent le vendredi 14 octobre rue Montorgueil, à Paris, pour la 1ère soirée remue.net, en compagnonnage avec Hubert Guillaud, Arnaud Maïsetti et moi-même – venez !


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1ère mise en ligne 3 octobre 2011 et dernière modification le 30 novembre 2011
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