la Terre est morte à Buffalo | bref hymne à la rue perdue

une ville ne se définit que par ce qu’on ignore encore d’elle-même


Certains jours le ciel est blanc, la ville alors monochrome. On roule à sa surface : nos voitures sont de couleur, les signes, les enseignes sont de couleur – mais nos visages, mais nous-mêmes ? On hurlerait parfois, à arpenter le labyrinthe sans couleur de la ville. Les blocs sont des rectangles, les bâtiments sont des rectangles, les rues parfois des cercles ou des spirales. On disait malgré tout qu’existait quelque part cette rue où tout était couleur, où soudain on pouvait s’arrêter, se contempler, se saluer, même parler. Quelques naïfs avaient pensé qu’on évoquait ces rues downtown, où se relaient enseignes de fringues et enseignes de bouffes. Non. Il fallait la mériter, la rue. Elle était difficile à trouver. On savait en gros, dans le dédale de le ville, à quelle section elle appartenait. On avait même un surnom affectueux pour cet échangeur, tellement chacun au moins une fois s’y était retrouvé hors du chemin attendu. Chacun de même avait son histoire concernant la rue : tel soir de pluie, tel jour de grand vent, tel moment où vous n’étiez pas bien en paix avec vous-même, et vous y étiez. Moi j’avais scruté le plan. On disait que dans cette rue certains avaient conquis le droit de vivre (mais ils ne repartaient plus : c’était un rançon qui pouvait paraître insupportable). Une fois je l’ai longée, cette rue. Oui, un sentiment de légèreté, de confiance envers la ville, envers les hommes. Je repasse souvent sur l’échangeur. J’attends la pluie, j’attends le vent : une fois je la retrouverai, c’est sûr.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mai 2010
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