fictions du corps | Notes sur l’homme instable

pour en finir avec la vie joyeuse, 17


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Ce qui était le plus étonnant ? cette tradition qui voulait que dans chaque ville, ou chaque grande réunion, ne soit jamais qu’un seul homme instable.

À la réflexion, cela ne tenait pas : une grande réunion (fête, stade, migration) impliquait donc chaque fois son homme instable ? si c’était celui de la ville, la ville n’avait plus d’homme instable, et si deux grandes réunions coexistaient dans la ville, elles prouvaient la coexistence possible de deux ou plusieurs hommes instables.

Mais gardons l’hypothèse telle que l’établit la tradition : on ne parle pas à l’homme instable, on ne connaît pas son visage. On est frôlé dans la ville, une agitation provisoire se fait au carrefour, ou au coin de la place, un regroupement d’un instant et chaotique dans la manifestation ou le stade, et vous saviez qu’était passé l’homme instable.

Vous marchez dans la foule, vous faites bloc avec les autres de votre réunion, et soudain c’est un sentiment de distance à soi-même, de fragilité ou de manque d’équilibre : l’homme instable est passé.

On ne sait rien de plus sur l’homme instable. Pourquoi celui-ci, et qui décide de leur succession dans les différentes générations qui font la ville. L’homme instable le sait-il lui-même ? Et, s’il le sait, comment le retiendrait-il, tant que mû par son instabilité même ?

L’homme instable a-t-il une pensée instable ? Et si précisément c’était l’exercice de la pensée le plus solide, le plus résolu et le plus calme, qui définitivement – mieux que les autres – lui avait conféré ce rôle de l’instable ?

Celui qui traverse fébrilement la ville, y danse et vous y perd.

Celui qui détourne l’attention de toute la réunion, stade, foule, manifestation, comme un vent soudain tourbillonnant dans les silhouettes mais la sienne, de silhouette, déjà enfuie, là-bas plus loin, là-bas au loin ?


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 janvier 2014
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