le labyrinthe défait
sur un tableau de Paul Klee [vers 2]

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ou un autreTumulte au hasard  : imaginaires de la ville

[version 2]
Chaque élément le prouve : il s'agissait d'un labyrinthe. Cet élément, combiné à d'autres de son espèce, on n'aurait su s'en extraire. Alors on pense qu'un livre est aussi ce surgissement formel dont la logique est d'aspirer à se modeler selon cette figure encore inconnue que pourtant il recèle, inscrivant du même mouvement ce dont il se défait dans ce surgissement. Et chacune des figures décrypte une clé particulière de logique, qui l'organise et révèle: mais augmentant la part d'inconnu que devant nous il dresse. Les éléments que nous regardons, là devant nous, pourraient être la figuration d'une carte, d'un plan de ville. Un relevé d'archéologue : trois cents pas en avant de celui-ci, on trouve le suivant, comme émergeant du sable, comme ces blockhaus émergeant du sable, déjà presque enfouis et qu'il faut désormais, quand chaque hiver je les visite, une marée à fort coefficient pour qu'ils apparaissent, la mer rongeant sinon la plage. Ainsi, de livre à livre, progressons-nous par saut dans notre propre énigme : ce qui unit un livre à un autre livre, c'est l'obscurité par quoi ils communiquent, et la même fonction s'est matérialisée à distance par ces figures qui ne s'imbriqueraient pas. On ne saurait rapprocher ces éléments singuliers du labyrinthe pour en bâtir un plus grand. Ce qui manque, c'est l'interstice. On ne peut pas trancher. Chaque figure est ouverte. Un labyrinthe immense, aussi immense que le rêve d'un livre unique, a été déconstruit, mis en ruine : peut-être brutalement, dans une guerre, ou la volonté d'effacer des traces néfastes. Il ne s'agit d'ailleurs pas de ruines ; les signes qui demeurent, les fragments de labyrinthe, ne témoignent en rien d'une destruction. Ce qui les sépare, c'est un pur espace : une surface complexe de couleur profonde, infiniment variable, et elle-même construisant une géométrie qui, si nous l'exprimions en termes de murs, de couloirs, de trappes, définirait un labyrinthe bien autrement dangereux. Surface suffisamment présente, agissant sur les signes éclatés du labyrinthe défait, qu'on la comprend ouverte, se prolongeant et se courbant bien au-delà des limites de ce qu'on voit. Ainsi toute carte géographique, dans la limite de son cadre. Cette courbure vous englobe (de même, étudiant une carte, savons-nous où, dans sa configuration, nous situons notre propre position d'observation). Les œuvres qui nous ont le plus fortement marqués, en littérature, définissent ainsi un espace dont les livres isolés, les fragments du labyrinthe, se tiennent à distance uniquement pour en marquer cette courbure, en insérer un composant de masse, de gravité, une figure assez stable, par l'énigme et l'obscurité propre à chaque élément, pour que la distance infranchissable qui les sépare agisse sur la totalité de surface ouverte, cette sensation de couleur complexe et englobante qui est l'œuvre.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 22 septembre 2005
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