des bruits
suite autobiographique

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ou un autreTumulte au hasard  : en équilibre instable

Garder le goût des listes, s'efforcer de les élargir. Ne pas viser le rapport de la liste à ce qu'elle recouvre dans le monde, mais seulement l'emprise qu'à cet endroit on y a soi. Ne pas écrire les bruits parce qu'ils évoqueraient une perception partageable, mais bien parce qu'ils vous définissent. Cloches un dimanche matin, quand depuis longtemps on n'avait été dans la proximité d'un clocher. Progression vers soi d'une sirène de police et sa fuite plus rapide, accentuée par la nuit et la résonance d'une rue étroite. Roulement régulier au loin d'une route à fort passage (quand on dort sur une aire d'autoroute, par exemple). Sensation d'eau qui coule, irrégulière, persistante. Conversation entendue à l'écart, on comprend tous les mots mais on n'y prête pas attention : l'ensemble d'ailleurs ne présent pas d'importance qui nous concerne. Violon qui s'accorde, alors qu'on marche dans une ville inconnue, qu'on passe dans la rue, ou gammes d'un piano dans les étages : on anticipe d'oreille tandis que l'œil découvre, et le musicien de toute façon restera invisible. Le bruit si reconnaissable d'un train qu'on croise à grande vitesse, malgré l'habitude on sursaute ou se réveille. Chien qui aboie sans arrêter chez un voisin, détestable. Autres du genre : sirène antivol d'un véhicule dont personne n'approche, avertisseur de mouvement arrière d'un engin de chantier manoeuvrant des heures, marteau-piqueur de réfection de voirie. Dans le train, quelqu'un écoute au casque une musique dont le cliquetis de batterie résonne pour la moitié du wagon : comment supporte-t-il ? Capacité de reconnaître le bruit même très faible du déclenchement d'un disque dur, d'une copie de disquette, du démarrage machine et qu'à parfois retrouver un ordinateur ancien on se souvienne avec nostalgie d'un livre alors en écriture (Autoroute sur mon premier ordinateur portable, un Powerbook 145). Au contraire, lieux de bonne perception d'un silence - récemment : jardin de Dominique Pifarély, à la Tourenne de Blanzay, soir dans le champ en pente de la Chapelle-des-Bois dans les hauts du Jura. Les aubes d'Écosse, pour l'élargissement de l'espace associé à ce qui reste de bruit, même envahissant (beuglements d'oiseaux, et fond continu du roulement d'eaux) qui permet de percevoir ce que cela recouvre de l'immensité muette qu'on cherche.Chaque fois absolue sensation de manque ou de trop grande rareté de ces moments, où le corps entier s'ouvre : pratiquant des villes, des voitures et des trains, infirme du silence et en souffrir. Maladie française des radios dans les lieux publics, les cafés, les postes, les taxis. Des amis vous hébergent, ils écoutent systématiquement (même en sourdine) leurs infos à la radio le matin, son caractéristique des pubs. Avoir dormi pendant un concert de Bach ou Scelsi, savoir que cette hypnose même est favorable, déplace l'écoute quand on la reprend. L'ennui aux opéras. L'arrivée de Keith R. sur la scène quand le premier accord ne signifie pas autre chose que nous répondre. Plaisir parfois à une pluie très intense sur une vitre. Chuintements de cuisine dans une cité d'immeubles, avec réflexion des voix sur les bâtiments à la perpendiculaire, un jour de printemps quand on commence d'ouvrir les fenêtres.

LES MOTS-CLÉS :

François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 16 août 2005
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