Dans le rêve, Didier Daeninckx s'était fait couper les cheveux façon jeune cadre mais c'était lui quand même, son visage en paraissait durci, dégagé et bronzé : ce n'est pas le genre pourtant à fréquenter le club Med, le copain Didier mais, je l'ai dit, c'était en rêve. On discutait tous les deux, les autres éléments du rêve s'éloignaient provisoirement mais tout ce qu'il me disait était net et fixe comme son propre visage, et ce qu'il m'expliquait c'était ceci : -- En écriture, ne pas repasser sur la première trace, maintenir la tension en amont, aller lentement et contrôler, mais en sachant à chaque mot qu'on ne le reprendra pas, et tirer de ceci la tension de son histoire... Il me dit que lui aussi venait de disparaître pendant une dizaine de jours (cela fait une dizaine de jours que je suis dans ce village de montagne, sans connexion ni téléphone), anonyme, dans un hôtel. Ce qu'il me raconte, la petite ville, ses immeubles, les archives du journal local, les conversations recopiées, je le pratique aussi. Et je reconnais même toute l'histoire qui va avec : une fois de plus, ce qu'il me raconte, j'aurais dû moi l'écrire. Mais quand je veux lui raconter où moi même je suis allé et l'histoire que moi je me suis attelé à écrire, je ne me souviens de rien : ni où j'étais, ni ce qu'on m'a raconté ou que j'ai retrouvé. L'inquiétude tient surtout à cette impossibilité de localiser, ni ville, ni région, ni immeuble ni archive, et pourtant j'en suis sûr, je l'ai fait. -- Des histoires à moi, je lui dis simplement. Des histoires d'avant. Cela semble lui convenir, il a même un petit air protecteur. En fait, comme si je n'avais jamais été capable d'autre chose, et je lui en veux un peu. Juste un moment, parce que là il se met à rire et je le reconnais bien, d'ailleurs il a retrouvé ses vraix cheveux toujours un peu trop longs avec la mèche : un farceur, ce Daeninckx.