aboyeur de lumière
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ou un autreTumulte au hasard  : imaginaires de la ville

Aboyeur de lumière. Aboyeur de lumière, dit comme ça, ça ne veut rien dire, rien. L'aboyeur de lumière est un personnage de la nuit de la ville. Tel que je le vois, il marche sans qu'on puisse prédire où il passe et à quel instant. Mais qu'on le croise, que la bulle de temps et d'espace qu'est pour chacun à tel endroit la ville soit rogue, ou hostile, il aboie : c'est avec la lumière comme on le fait avec le son. Cela repousse un instant les frontières de la bulle, elle s'éclaire. C'est curieux, l'aboiement, parce que cela se fait en inspirant. On ne projette pas le son de la façon qu'on parle, qu'on chante ou qu'on crie, mais c'est d'inspirer qui crée la contraction qu'on va soudain détendre. Ce geste de lancer la lumière est pareil. Je me pose beaucoup de questions sur ma vie, sur tout ce que je n'y fais pas. Les pièces de théâtre qu'on ne va pas voir, les concerts qu'on n'aura pas entendus, les fêtes où on vous convie (encore hier), et les voyages même, que j'évite. Je pourrais remplir le calendrier d'une vie fictive faite de tout ce qu'on m'a proposé et que j'ai décliné : pas des grandes choses. Simplement, je ne les fais pas. Je suis ici, dans la même pièce obstinément, j'ai mes livres. Depuis plusieurs mois, je m'obstine à des livres concernant un homme, un seul, et ce qu'il a lui-même écrit, tout au long de sa vie, que je lis dans l'ordre et lentement. Les événements biographiques qui pour lui sont considérables font que je me ralentis moi-même comme s'il s'agissait d'un choc similaire. L'aboyeur de lumière passe dans les gares, dans ces pièces vides où on attend. Il est dans un couloir d'hôpital, à cet arrêt de bus où vous restiez dans le froid, le téléphone des mauvaises nouvelles à la main. On ne le voit pas de face, l'aboyeur de lumière. Il s'en va. On l'aperçoit de dos. L'éblouissement a cessé : plus rien que l'obscurité élémentaire, et ce qu'on en partage. On a reconnu pourtant qu'il s'agissait bien de lui : personne d'autre ne s'en est aperçu, de l'éclaircissement provisoire. Si tout n'était pas si sombre, et si froid. Si la distance d'un être à un autre n'était pas si considérable, quand bien même vous marchez si proche.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 29 janvier 2006
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