ce n’est pas écrire, cela
de l'écriture

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ou un autreTumulte au hasard  : l’amour des propriétaires

Quand l'écriture ne va pas bien, tout va mal. Je me lève lourd, j'ai mal aux jambes, je ne peux pas me traîner. Je me gave de café, ce n'est pas bien. Je m'accroche à cette pauvre machine, pour y perdre du temps : qui dira (enfin, nous tous qui le pratiquons) qu'autant de temps sur Internet à consulter le quotidien des autres, via sites et blogs, ce n'est pas perdre un temps qui serait tellement mieux utilisé dans le travail ? L'écriture qui ne va pas bien c'est ça : on se met à la machine, et rien à dire. On a des chantiers ouverts. J'ai la lourde pile des livres et documentations de toutes sortes accumulée sur Led Zeppelin : il faut aller à ce chantier et reprendre l'ébauche déjà faite, mais en ce moment c'est comme aller à l'usine. Il me faudrait ouvrir l'espace plus personnel de ce malaise des années 70, ce qui nous est arrivé chaque première fois que, dans les fonds de nuit, dans les errances, par les choses ou les êtres, et c'est ce que je comptais faire ici. Je respecte ma contrainte de n'écrire que par serveur interposé, sans trace matérielle de ces textes chez moi, mais nombre de rubriques restent dans la partie non visible du site, ce n'est pas bien, je dis : l'écriture va mal et donc je vais mal. J'ai aussi le chantier de l'île, ce que j'appelle mon {chantier de l'île}. Mais c'est trop beau, on touche à du très rare, je ne me sens pas le droit de l'ouvrir en ce moment avec mes pattes sales, mes pattes malhabiles. Je dors mal aussi. J'ai le courrier en retard. Les piles trouvées au retour du mois d'août : des factures, des choses à répondre, des billets de train à se faire rembourser, la pile s'effondre vaguement sur elle-même. Comme j'aime faire les choses dans l'ordre, le courrier rapporté depuis de la boîte postale, où je continue de passer chaque deux jours (ou trois jours), je le dépose à côté, je ne l'ai pas ouvert. D'ordinaire je contrôle ma boîte mail : dans la case courante, je limite à cent le nombre desmessages en instance. Ça grimpe vite, et, là aussi : retard. Après, j'essaye de trier : ateliers, projets, curiosa, revue en ligne et ainsi de suite. Ce matin, ça passe les deux cents dans le dossier en instance, tout ça s'empile et ça fait partie de l'intendance. Même les choses amicales. Avoir pensé souvent à Bergounioux, notamment en traversant Ys-sur-Tille : je dois le lui dire. Avoir acheté une carte postale pour Antoine Emaz en visitant le centre Paul-Klee à Berne, et si ça vaut de l'envoyer maintenant, plusieurs semaines après le retour. Ainsi de suite. Répondre à Julien Gracq, qui nous montre autre leçon de politesse. Et je reste là parfois comme hier toute la journée : aller à la table ce serait affronter ça, le remblais est trop haut, qui me sépare du vrai travail. Alors je me reprends à ajouter ces notes sur le serveur : vous croyez que ça sert ? Des fois, je me dis que le meilleur qui m'est donné (écrire ici de façon imprévisible, là où jamais je n'aurais osé me risquer si ç'avait été affaire de volonté, et parce que, chaque jour apportant son nouveau texte, on peut laisser en arrière ce qu'on n'oserait pas relire, du texte écrit la veille, la petite honte ou le secret qu'il dépiste), c'est justement dans cette impossibilité de revenir aux vrais chantiers. Je me disais il y a encore quelques semaines : la beauté du Journal de Kafka, c'est dans son arbitraire. Choses lues. Réflexions sur la vie familiale. Conversation au bureau. Et début d'une histoire, qu'on ne terminera pas : mais huit débuts d'histoire successifs sur un mête thème (série de son « chasseur Gracchus ») et le terrain est prêt pour un élan d'écriture qui se passera hors Journal, mais le prolonge, n'existerait pas dans le Journal. Et moi je reste là, allongé, j'ai des bouquins, je ferme la porte, le téléphone sonne dans la pièce à côté avec un message répondeur, et même le courrier électronique je n'y réponds plus. Et j'ai déménagé ma table de travail. La table de travail dont j'usais depuis cinq ans, dans le garage sans fenêtre, je l'ai démontée pour une table tout petite, dans une pièce petite aussi, mais avec de la lumière, et quasiment vide. Juste une table minuscule et un lit une personne (un lit d'enfant, lequel a pris la chambre de sa sœur, qui elle a rejoint un lycée à Paris), c'est là où j'écris désormais. Là où j'ai apporté ma documentation sur Led Zeppelin et ma documentation sur l'île à l'exclusion de tout autre chose (sur le lit, j'ai posé ma guitare : une belle guitare au son de violoncelle, avec un jeu de cordes tout neuf parce que les actuelles sonnent aigre, mais, l'heure pour les changer, je ne l'ai pas prise, et est-ce que jamais j'ai su jouer, vraiment, de la guitare). Il y a encore des choses à ranger dans cette chambre vide où j'ai installé mon ordinateur portable (magie de la connexion sans fil). Et au lieu de ça, voilà, on reste allongé avec un livre, on écrit qu'on est mal, que l'écriture va mal : ce n'est pas écrire, cela.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 2 septembre 2005
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