notes sur l’écriture
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ou un autreTumulte au hasard  : techniques d’écriture

J'écris ces textes du tumulte chaque jour, je m'y efforce. Aujourd'hui, journée chargée : des rendez-vous à Paris, la découverte du centre d'apprentissage de Pantin, où je vais régulièrement intervenir cette année, et qui à l'intérieur de ses salles refait le monde industriel en faux. C'est le dernier train. Je reconnais des habitués. Pour m'isoler, j'ai mis mon casque et j'éctoute le violoniste libanais Nida Abou Mirad, disque que m'a donné à écouter Dominique Pifarély, c'est ce que j'écoute systématiquement à chaque voyage en train depuis deux semaines (j'écoute toujours ainsi, par périodes d'un seul disque à la fois, constamment répété). Beaucoup de gens lisent le journal. Je me remémore les couloirs du centre d'apprentissage et les portes qu'on ouvrait chacune sur l'univers spécifique d'un métier, puis les regards de ces quinze filles apprenties coiffeuses, qu'on est entré saluer parce que c'est elles avec qui je commencerai mercredi prochain mon travail et qui font sur elles-mêmes, chaque semaine, les expériences de leur futur métier. Je repense à l'imbrication de ces salles, à la ville vue de tout en haut, cet horizon urbain qu'on avait à trois cent soixante degrés depuis la cantine, j'écris cet avant-dernier texte, Tout pour de faux, comme à simplement grossir à échelle de la ville ce qui n'en était qu'une exception, les cinq étages de bâtiments serrés dans l'imbrication des cours. J'écris très vite (du moins il me semble, mais juste pour capter cette illusion, rester dans sa sensation). Je passe au correcteur d'orthographe et relis, puis je reprends lien avec le wagon autour de moi : la jeune femme, à deux places, a avancé lentement dans le Monde, comme tant de soirs moi-même je l'aurais fait. Elle tombe sur cette page avec les deuils, les thèses, la bourse, les annonces, je ne peux m'empêcher de penser : elle va lire cela aussi ? Moi cela m'arrive, quand je suis fatigué, le soir dans ce dernier train, de laisser filer chaque page et parcourir même celle-ci, qui inclut les thèses et la bourse. Non, elle passe page suivante (les douze titres des films qui seront vendus avec le supplément du samedi, les prochaines semaines). Maintenant elle a les bras croisés, elle ne ferme pas les yeux mais reste immobile, le journal replié sur les genoux. Le train met cinquante-cinq minutes exactement. On est à moitié du voyage : sur le sentiment de ces pages de journal, émergeant de mon texte sur l'apprentissage, j'écris le texte précédent, sur ce que cela changerait de lire un journal inventé, au lieu du journal réel. Je m'arrête là encore au bout de trois pages. Cela m'étonne. Je calcule le nombre de signes : 4646 signes [le premier->202], 4620 [le second->203] (avec les espaces, comme on compte dans la presse). Les deux textes sont de même longueur à vingt-six signes près (le nombre de lettres de l'alphabet). On arrive en gare de Vendôme : comme pour le texte sur le centre d'apprentissage, il n'y a plus {travail} de l'écriture, mais juste rester au plus près d'une sensation fragile, là, tout de suite, l'idée de réalité que porte un journal si celle qui le lit le parcourt dans cette fatigue de fin de journée, s'endort même le lisant. Le train arrive à Saint-Pierre des Corps, la jeune femme replace son journal plié dans le sac plastique qui est son seul bagage au retour de Paris (au contrôle j'ai remarqué que c'était un billet sans réduction : elle n'est pas une habituée de ce trajet, elle). Qu'est-ce qui se passe dans les doigts, pour qu'ils écrivent à votre place, et tombent, à deux reprises de même boxe, sur deux textes d'exacte même longueur ? Est-ce que j'ai enlevé de moi un couvercle qui gêne, ou bien c'est justement la fatigue qui me piège ?

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 9 septembre 2005
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