expérience (c’est une fiction)
nouveau monologue d'acteur

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ou un autreTumulte au hasard  : Marin V., caissier de théâtre

Une fois de plus, hier soir.
Une fois de plus une de ces colères à en trembler, j'aurai terrorisé la maison entière. Un mot pris pour un autre, une lenteur à répondre, je ne sais quoi d'insignifiant et cette maladie qui est la mienne, colère douloureuse d'elle-même, en profite pour me torturer et avec moi ceux que j'aime, que j'aime tendrement.
Je sens bien comment la faille aujourd'hui, cette année, ce mois, est plus profondément ouverte que d'habitude, les courants mauvais font surgir des images qui me font souffrir et avec elles ce désespoir, ne jamais avoir le dessus sur ces peurs: cette peur ancestrale, cette peur de la nuit par exemple, je finis par avoir peur de cette peur, la peur de la mort j'ai peur aussi de cette peur-là, j'ai à ce point peur de la mort, d'être face à elle, que je me pousserais volontiers vers elle volontairement, une manière de libre arbitre en somme, j'ai peur de cette pulsion, de ce désir parfois de ne plus souffrir, j'ai peur de la douleur et je souffre d'avoir peur.
Chaque matin, matin pluvieux matin brumeux ou même matin crasseux, pour moi une délivrance, momentanément délivré de la nuit, sombrer enfin dans le sommeil même s'il n'est plus l'heure. Le sommeil sert à cela j'en suis certain, à ne pas affronter la nuit. Celui qui a tellement peur de la nuit qu'il ne peut fermer l'oeil devient fou.
Ce matin je suis là, l'aube rentre par les fenêtres de la cuisine et je lui tourne le dos, je suis effrondré sur la table de la cuisine, je pleure à même la toile cirée. Je hoquette, je suis vidé, je voudrais qu'on vienne me chercher. Mais de même qu'on peut avoir peur de s'approcher d'une bête blessée, elle peine à s'avancer vers moi: en être là? J'ai pensé (de moi): un animal apeuré.
Plus tard, à la fin du jour, nous essuierons un orage violent en passant au large de Clermont-Ferrand, dans la nuit sous des trombes d'eau. Nous parlerons, dans la nuit. Sage décision que d'être rentré : j'ai rendez-vous demain avec le médecin. J'ai promis que j'allais me soigner.
Je dois me soigner. {{{ }}} ----
"Je ne vois pas de différence entre une poignée de main et un poème", Paul Celan. Est-ce qu'on lit autrement quand on lit pour soi ? Ce texte est une [poignée de main->http://desordre.net/blog/blog.php3?debut=2005-07-24&fin=2005-07-30#96].

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 11 septembre 2005
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