on déposerait le bruit
d'une initiative parfaitement originale

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ou un autreTumulte au hasard  : offshore _ 05

Première version : Rennes, le 15 octobre 2005.
Il n'était plus question de silence. Nulle part dans la ville. Il y avait ce fond un peu grondant selon les heures, qui enflait au matin, plutôt aigre et nerveux, revenait plus amplifié le soir, mais plus sourd, massif. Entretemps, le bruit où on était. De la musique dans les bars. Des annonces dans les gares. Le fond d'ambiance, comme ils disaient, ce mot ambiance dans les boutiques et désormais de plus en plus au travail. Et ceux qui passaient rivés à leurs téléphones, et ceux qui couraient ou marchaient et même à bicyclette comme on s'habituait à voir le cordon autour du cou, avec dans les oreilles les membranes qui leur délivraient leur bruit. Une femme avec un bébé dans les bras qui pleurait, et elle ses écouteurs dans les oreilles. Dans le train, ce type ridicule parce que son téléphone sonne et sonne, et lui n'entend rien : bruit dans les oreilles. Quand on rentrait chez soi, la même chose. On écoutait la radio le matin, juste comme ça en fait, juste pour savoir ou bien on met de la musique ou bien quelqu'un vous contraint au téléphone (oui, en plein milieu même de cette phrase) : et comment en vouloir à qui vous téléphone, si c'est un proche, un ami. Alors on avait eu l'idée de ce trou, en plein centre-ville, et de ses éclairages. On l'avait creusé uniquement pour les trois semaines que durerait l'opération. On le leur avait dit, aux gens : -- Apportez vos bruits, déposez ici vos bruits. On avait écrit des articles dans les journaux, cela changeait des problèmes d'accidents de voiture, d'escroqueries banales, et même des grèves et procès : nous enterrerons le bruit de la ville, et le grand trou rouge dans la nuit (après, oui, on en ferait un parking souterrain de trois étages, et au-dessus un cinéma Multiplex treize salles) servirait pendant trois semaines à cela. On avait décidé d'aboutir à une journée sans bruit : nulle voiture, nulle radio, nul appel ni sonnerie, il resterait bien sûr le vent, quelques trains et avions pourquoi pas, et nos voix et le cris des enfants dans les cours d'école, mais ce serait le bruit neuf. Vers le soir, des musiciens viendraient devant les portes et joueraient : autrefois, il y a longtemps, une fête annuelle de la musique avait été initiée sur ce principe, qui avait dégénéré en quelques années par trop de haut-parleurs, sonorisations, amplification, normalisation des rythmes et tant et tant de canettes de bière et de mauvais vin. L'immense trou était prêt, on l'éclairait la nuit, dès demain on attendait les gens à venir déposer leur bruit, tout le bruit.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 17 mai 2006
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