affiches, toiles, nuit
de l'écriture

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ou un autreTumulte au hasard  : hypothèses d’ascendance flexibles

C'est avancer dans un étoilement : ce monde qui s'ébauche a plusieurs dimensions qui se superposent ou se croisent. Parfois il accueille des rêves. Aussi, j'inscris les très brèves idées ou intuitions qui viennent en haut de cette [liste des articles à faire->127] où je ne biffe jamais rien, mais ne les réalise pas forcément, ou pas forcément avant plusieurs semaines. Ce qui me fascine, ici, c'est comment une très mince idée, une vague suggestion, parce qu'on se met à l'écrire, qu'on accepte qu'elle soit fugace, provisoire, n'ait pas de lien en amont avec les précédentes écritures, n'appelle pas à appui ou développement, me rendent matérielles et concrètes des nuances qui sinon se seraient envolées. Souvent, passe une de ces intuitions, et deux heures plus tard, ou le soir ou le lendemain, ou au premier moment qu'on retrouve la machine, plus moyen de la retrouver. Et c'est aussi la nuit. Hier je n'aurais pas dû rester toute la journée à la machine sans sortir : je sais que le soir ensuite il est bien difficile de trouver le sommeil. De une heure à six heures, des alternances de fausse veille et de dérives oniriques sur un thème pauvre et récurrent. De toute façon je dormais seul. Et cela s'articulait ainsi : j'avais eu dans la journée une intuition de cette sorte pour mon tumulte, il me fallait absolument collationner tous les instants de cette journée si je voulais une possibilité de retrouver cette intuition, potentiellement appelant un texte fort, mais lequel ? Alors je repassais, mais dans l'insomnie, sans rien pouvoir démêler de la veille ou du rêve, ces idées qui avaient pu me traverser, dans le demi vide d'une journée où la seule actualité avait été la machine, et puis, à tel moment de l'après-midi, emmener ma gamine et deux de ses copines au Multiplex où elles regarderaient un dessin animé basé sur un conte qu'elle me raconterait ensuite, dans sa perception à elle et ses onze ans, cette étrange réflexion qu'elle me ferait, à propos de ce film de Tim Burton, comme quoi « c'était bizarre : le monde des morts était bien mieux que le monde des vivants, moi je ne l'ai pas aimée, sa ville, je n'aurais pas voulu y vivre », et puis dans ce moment où je sortais du Multiplex, reprenant la rocade, revenant pour une heure vingt-cinq devant la machine avant de partir les reprendre à la sortie, ces types dans le hall désert du CGR s'acharnant à des jeux vidéos de pacotille : j'avais mon appareil numérique dans ma poche, je n'ai même pas osé le sortir. Bon, maintenant, ce matin, je peux démêler plusieurs fils. Dans la journée, plusieurs fois, la question de vieilles affiches : avoir trié une suite de 50 ou 80 clichés numériques concernant le [carrefour des Quatre-Chemins à Pantin->272], et notamment de tous les signes écrits, dont les superpositions d'affiches. Un échange avec le vieil artiste [Jacques Villéglé->http://www.interdits.net/2004fev/popart.htm], et l'honneur qu'il me fait de me confier un texte pour une rétrospective de son travail. Sur le blog Bourdais, la page consacrée à un proche de Villéglé, [Raymond Hains->http://www.jcbourdais.net/journal/29oct05.php], et via Bourdais être entré dans une visite virtuelle approfondie des affiches de Raymond Hains, dont certaines remontant aux années 70, pour moi les années militantes souvent réouvertes ici en fantôme. Et puis, le soir, échange avec Charles Tordjman à propos de nos [affiches Daewoo->http://www.tierslivre.net/spip/article.php3?id_article=196] implantées (nous n'y sommes pour rien, d'ailleurs) dans toutes les galeries du métro : Charles disant que cela lui redonnait nostalgie des séances nocturnes d'affichage. Alors évidemment, dans la liste des articles à faire, je voulais rajouter « inventaire le plus exhaustif possible de tous souvenirs, Bordeaux, Angers, Paris, des collages d'affiche », mais l'idée me semblait assez simple et claire pour ne pas avoir à me relever, réveiller la machine et l'y inscrire : une idée aussi simple attendrait bien le matin. Alors venait s'y superposer une autre piste, qu'il me fallait aussi rajouter dans la liste des articles à faire, mais elle plus diffuse, et qui, d'heure en heure dans ce demi-sommeil qui se refusait à se transformer en sommeil, se présentait à moi comme une phrase très nette, qu'il aurait fallu écrire immédiatement pour en garder la complexité. Je ne l'ai pas fait, et cette complexité, qui s'écrivait dans ma tête, est perdue. L'idée, c'était encore un inventaire, mais une formulation en trois lignes, juste pour cette liste d'articles à faire : inventaire des toiles occupant une place symbolique dans une pièce particulière. Et l'inventaire malgré moi se faisait, c'est ce qui m'empêchait de dormir. Peut-être il eût mieux valu descendre pieds nus à la machine, taper tout cela pendant quarante minutes, et remonter assommé. Mais je ne me sentais pas mûr pour autant. Pourtant, je revois toutes ces toiles, toutes ces places. Avec des étrangetés : par exemple, le {portrait ovale} d'Edgar Poe, son narrateur, et le bizarre personnage avec ses instruments de musique à cordes, y avaient autant de réalité que les deux bureaux qui faisaient partie emblématiquement de ma liste, parce qu'il s'agit de lieux de la république (alors que depuis une semaine, chaque nuit est de feu et destruction, et j'avais écrit le matin : {la misère brûle la misère}, la phrase me revenait, était-elle juste ?), donc le bureau de Marcel Bozonnet à la [Comédie Française->http://www.comedie-francaise.fr/histoire/visiter_cf.php], avec son Molière original du 17ème, et le bureau de Henry-Claude Cousseau aux [Beaux-Arts->http://www.tierslivre.net/wcam/0406_BxArts.html]. J'avais aussi la salle à manger dans les années 80 du directeur de la [Villa Médicis->http://www.tierslivre.net/wcam/ANC/photo54.html], et la comparaison des goûts de Jean Leymarie remplacé par Jean-Marie Drot. J'avais la vision comme détachée mais très nette d'une broderie idiote polychrome de ces coqs géants vus deux fois de suite, récemment, en se promenant la nuit dans les rues d'une villégiature presque désert des bords atlantiques. Je savais aussi intuitivement que c'était lié à cette [Joconde à moustache->http://www.remue.net/article.php3?id_article=1136] de Marcel Duchamp, que Louis Aragon avait donnée à Georges Marchais, et qui trônait avec une ironie dont nous ne savions rien dans ce bureau de direction du Parti communiste français dont nous collions les affiches. Il reste ce matin le malaise de l'insomnie, de ce qu'on a cherché sans trouver. Je n'ai jamais vu Rembrandt que dans les musées : il me semble être face à cette nuit comme devant tel autoportrait sombre du vieux Rembrandt. Que signifie cette accumulation de pièces vides, chacune ayant au mur une et une seule toile dont il m'importait de fixer le souvenir ? Je me souviens, dans une autre phase de la nuit, qu'on s'était donné comme projet avec un ami photographe (j'ai toujours des projets en cours avec des amis photographes), d'aller dans chacun de ces lieux et d'en photographier l'occupant, Marcel Bozonnet ou Henry-Claude Cousseau ou l'actuel directeur de la villa Médicis, chacun dans son bureau avec cette toile en arrière. Et je disais à l'ami photographe que non, en fait, c'était trop classique, trop pose... C'est [Edgar Poe->http://www.poemuseum.org/] qui est la solution : il y a de la mort encore dans cette histoire, et tout cela n'avait comme but que la tenir à distance. C'est à cela, certainement, qu'il me faut réfléchir. ----
à titre exceptionnel, j'insère dans cet article des liens hypertextes, au lieu de m'en tenir à ce principe d'un texte qui déplace uniquement les rubriques et afffichages sur son pourtour

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 7 novembre 2005
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