expansion accélérée du temps
ceci est un livre sur le temps

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ou un autreTumulte au hasard  : révélation paragraphe

Ainsi, d'après les recherches les plus récentes, et après qu'on ait longtemps hésité ou ne pas savoir calculer s'il était stable, voire en contraction ou repli, il paraît que l'univers serait en expansion rapide, ou plus précisément en expansion accélérée. Ainsi donc, de notre univers, le grand tout qui nous entoure, dont on a eu le temps de se familiariser depuis quelques décennies avec l'idée qu'il est à la fois fermé et sans bords (et cette idée, l'appliquer au livre qui se construit), nous apparaît-il maintenant comme mouvement d'éloignement. On pratique l'arpentage comme aux quatre coins d'un champ, en évaluant les angles et directions réciproques de quelques amas d'étoiles plus brillants, qu'on dit les {supernovae} (je respecte cet étrange pluriel sauvé du latin). On sait mieux évaluer aussi les masses de matière, même là où son existence nous reste conjoncturelle, en tout cas invisible : on parle de matière noire, on parle de matière opaque, on parle de mousse, structure d'univers avec des vides qui le font ressembler à une mousse. Que l'univers soit en expansion ne change rien à la rigueur ou aux cahots du quotidien, qu'il soit peineux, qu'on se lève fatigué, qu'on se sente usé à trop de mesquinerie aux angles, pour la surface publique du vieux monde en partage. Il se fait particulièrement vieux et usé, ces temps-ci. On repensera plus précisément à cette notion d'univers en expansion aux beaux jours d'été, regardant les étoiles. Ici, dans la ville, même la lumière des étoiles est affadie. Mais j'y pense. A mesure qu'il s'épand, l'univers se refroidit. Le rêve qu'on pourrait avoir de frontières, de voyages ou même de porter l'imagination tout là-bas dans ces bords fermés sans frontière devient plus incertaine : peut-être seulement se sent-on un peu plus seul sur les vieilles routes d'ici, puisqu'il paraît que les {supernovae} nous tournent le dos plus radicalement, fuient en se bouchant le nez. L'horizon est ce grand froid. {Horizon noir}, disait Baudelaire, un temps je rêvais de rassembler tous mes livres à cette enseigne (c'était aussi le titre de départ du récit publié ensuite comme {L'Enterrement}). Reste qu'on nous apprend que cette expansion s'accélère. C'est à cela qu'on repense, conduisant la voiture. Un mouvement, un agrandissement. Comme un geste sur l'ouvert : la nuit, ouverte ? Cela a eu un début, cela s'en va vers une fin. On est déjà dans l'accélération qui y porte. On se prend à rêver à ces mouvements d'éclatement, qu'à toute petite échelle on a observé. Cet été, dans les Alpes italiennes, avoir longtemps regardé l'eau d'une cascade. Les souvenirs plus récents, au hasards d'hébergements amis, à regarder un feu de bois. Lumière d'une disparition, son éclat bref : et tout un univers peut-être là-dedans, dans l'infinie reproduction du temps, que seule notre propre échelle définit comme temps. Et que le temps peut-être lui aussi grandit avec l'espace, nous abandonnant lui aussi à notre indéfini présent. Dimanche dernier, au musée du Temps, je regardais les livres à vendre : une collection d'écrits cherchant à penser le temps. J'en possédais déjà nombre (Étienne Klein, par exemple). J'ai hésité à m'acheter un gros livre qui était une histoire de la pensée contemporaine du temps : il était cher, et ces mois-ci j'ai peu le {temps} de lire, du moins je suis sur d'autres travaux, comme cette relecture intégrale d'Henri Michaux. Hier soir, confronté à cette notion d'une {expansion accélérée} de ce vieil univers qui est notre braise dans son éclat bref, je regrettais le livre sur le temps : combien de livres sur le temps devrions-nous sans cesse lire. Ecrit-on en dehors de cette vanité du temps ? Est-ce que nous ne sommes pas déjà dans ce mouvement d'éclatement bref où plus besoin, même pour un livre, de viser la mémoire ou la durée ?

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 26 novembre 2005
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