révélation paragraphe
trois histoires brèves

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ou un autreTumulte au hasard  : attentats de Londres, le 7 juillet 2005

Voici trois histoires en un paragraphe, que je venais d'inscrire dans ma [liste des articles à faire->127] (et elles y resteront, puisque c'est la contrainte que je me donne, de ne rien en extraire une fois écrit), mais qui sont devenus des objets clos et suffisants, que reprendre dans une boucle narrative plus large ne pourrait qu'affaiblir (du moins, pour l'instant) : Première histoire. Ce type qui à Angers suivait une formation commando et comment on l'avait adopté : il nous racontait, chaque semaine quand on le revoyait, que parfois on l'hébergeait, à quoi on les formait, les missions qu'on leur donnait, en plein dans notre monde ordinaire, la dureté que c'était, y compris brimades et humiliations, et {l'obligation de se taire sur qui il était vraiment}. Jusqu'à le découvrir une nuit seul farfouillant à la fédé du Parti : on faisait partie de sa mission, on s'était laissé prendre à une histoire qui nous englobait en miroir. Deuxième histoire. Avoir croisé une fois, il y a longtemps, à la gare de Luçon en Vendée, d'un jeune couple en train de lire à deux dans le même livre, un roman d'Échenoz. Le hall était désert, le prochain train pas avant quarante minutes, ils étaient là sur le banc, penchés à deux sur le livre. Je le lui avais raconté après, à Échenoz. Et hier soir mon propre gamin de quinze ans deux heures durant allongé à plat ventre sur le tapis lisant {L'Équipée malaise} (c'est le troisième Échenoz qu'il descend) : ça change quoi, lorsqu'il s'agit d'un livre qu'on a vu naître (comme je l'ai vu naître lui, le lecteur, et comme j'aurais tellement imaginé, {L'Équipée malaise}, l'écrire moi-même sous le nom d'Échenoz, à voir d'ailleurs si le lecteur et le bouquin n'ont pas exactement le même âge) ? Troisième histoire. Fait divers ces jours-ci : une ville de province, et dans un puits l'accès à une salle souterraine où on retrouve les ossements d'un type qui s'y est laissé mourir il y a au moins dix ans. Sa mère, qui représentait son seul lien au dehors, vient de mourir il y a cinq mois. Il avait vécu des années dans cette salle souterraine, personne ne savait plus rien de lui, sa mère se contentait de dire qu'il était {parti}. C'est sa demi-sœur, qui hérite de la maison et découvre la salle souterraine, les ossements. Il avait des livres, nous spécifie-t-on. Il n'y a aucun lien direct entre ces trois récits, sinon cette pulsion d'en faire trace par écrit, et que, passé l'instant même de la remémoration, de la lecture dans le journal, ou de l'observation directe, cela se serait perdu dans la masse continue des mêmes observations qui se renouvellent, et qui sont notre présence au monde dans sa profusion, sa complexité, sa continuelle superposition de passé et présent. Seul point commun aux trois : avoir, le lendemain ou le surlendemain, rajouté un élément dans la phrase qui les notait parmi les articles à écrire. Ajouter donc un axiome aux contraintes de ce {Tumulte} : chaque notation changée, précisée ou complétée dans cette liste fait basculer l'article parmi les chapitres du livre, indépendamment de sa longueur. D'ailleurs, ce matin, j'en reprends encore le détail. On n'en finit jamais du détail dans cette condition d'une notation brève, ayant affaire au réel. Et dans ce point commun : que chacune de ces notes s'est rédigée en un seul paragraphe compact, que c'est la condition pour que chaque phrase reste en contact avec les précédentes. Rilke, à propos de Cézanne: "que chaque point du tableau ait connaissance de tous les autres" (je cite de mémoire). Révélation progressive de l'unité paragraphe. Gertrude Stein déjà le disait.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 29 novembre 2005
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