dedans l’oeil
exercice à faire soi-même (conseillé, et sans tricher)

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ou un autreTumulte au hasard  : la vie chez les Moches

Première mise en ligne 13 décembre 2005.
D'abord l'œil. Gros plan muet. Pli humide de la peau puis la pupille, un battement, les cils, l'eau. Maintenant le mur. Brique irrégulière. Le haut du mur, ligne droite, donne sur bâtiment. Un escalier de métal redescend sur la cour, l'image repart vers le ciel, à nouveau la paroi du mur, et la silhouette encapuchonnée qui court ou se dissimule, on ne sait pas, se prend les pieds sur un tréteau de bois. Monte sur un bloc de pierre comme ferait un gosse, et bouscule deux passants qui sont là : mais pourquoi ils crient ? L'homme continue à courir. C'est une rue, entre dans une maison. Un escalier. Il prends son pouls : il est malade, il a peur, on ne sait pas. Quand il va pour monter, une vieille dame descend, qui porte des fleurs. Elle est aveugle peut-être, puisqu'elle ne le voit pas. Elle aussi, effrayée (et même, s'écroule en lâchant ses fleurs) : c'est donc que non, pas aveugle elle l'a vu - ce qui n'explique pas l'apparition, ni son âge, ni les fleurs. Nous seuls ne l'avons pas vu de face, l'homme encapuchonné, qui vient d'entrer dans un appartement où il s'enferme soigneusement, serrure et chaîne. Il a repris son pouls. Il enlève son foulard mais garde son chapeau. Nous on le voit toujours de dos. L'appartement est grand et quasi vide. Quasi pas de meubles, mais des choses au mur. Juste un lit de camp. La peinture qui s'écaille. L'homme avance comme découvrir lui aussi ces objets, ou s'assurer de leur présence. Un chien et un chat dans un panier d'osier. Toujours de dos. Il longe le mur blanc, le palpe, approche de la fenêtre pour en baisser le rideau noir, troué. Se pencher sur les animaux, qu'il n'effraie pas. Sur la table dans le coin de la pièce, près de la cage avec l'oiseau, un bocal rond avec un poisson. Un miroir qui ne reflète rien. Le chat miaule. L'homme pour passer devant la fenêtre se cache, puis recouvre le miroir d'un drap noir. Dans une cage d'oiseau, sur la petite table, un perroquet gratte de la patte. Un large fauteuil au centre de la pièce. Action : il se saisit du chat, et puis du chien, ouvre la porte et les met dehors sur le palier. Gag, quand il met le chien dehors, le chat rentre à nouveau et revient au panier, idem pour le chien ensuite, et à nouveau pour le chat. On dirait du Charlie Chaplin ce genre de gag, mais maintenant le panier d'osier est vide, il referme la chaîne, la serrure. Le drap couvrant le miroir est tombé, il le remet comme si tout en dépendait. Ses mains. Par terre, un cartable. Sur le haut du fauteuil, un emblème de bois comme avec deux yeux, et deux yeux aussi sur ce dessin affiché au mur, que l'homme arrache et puis piétine : on ne sais pas, pourquoi. Il est assis sur le fauteuil, et devant lui sur le mur l'empreinte plus pâle du dessin arraché. Ouvre le cartable. Reste le perroquet dans la cage. Recouvre la cage de son manteau. Après l'œil du perroquet, l'œil du poisson rouge dans le bocal près de la cage à perroquet. Recouvert aussi. Reste l'emblème au dos du fauteuil. Le tissu sur le bocal du poisson est tombé : l'œil, encore. Les papiers dans le cartable sont scellés. Dedans une photographie : une mère et un enfant. L'homme se balance. Un fou. Le père avec l'enfant.Le père, la mère et l'enfant. Scènes de bonheur et archétypes de famille : mariage, naissance. Puis l'homme à qui il manque l'œil. L'œil recouvert du bandeau. Il a repris une par une chaque photo, les a déchirées. La dernière est celle de la mère et de l'enfant : déchirée. Les lambeaux par terre sur le plancher. Reprend son pouls. Semble s'endormir. Caméra tourne. L'homme de profil : un instant, instant seulement. Sur l'œil, quelque chose mais il se réveille d'un soubresaut, renvoyant aussitôt la caméra derrière lui. Plan panoramique de la pièce vide. Le miroir, l'oiseau, le poisson sous leurs draps noirs. L'homme de face. Manque un œil. Il regarde quoi, regarde nous. Regarde la caméra : se voit dans notre regard, se reflète dans optique ? Un seul œil. Se met les mains sur les yeux. Se balance. C'était l'image du père. Noir. Retour début, l'eau, la pupille. Inscription : FILM BY SAMUEL BECKETT FEATURING BUSTER KEATON. Ecriture temps réel (sans arrêter l'image vue sur partie gauche de l'écran, tâchant d'écrire le maximum de ce que perçu, à l'instant même où je le perçois, sans cesser d'écrire, première vision) : 17 minutes 28 secondes. Effacé déjà du disque dur. Je ne retoucherai donc pas le texte. Qu'est-ce que ça change à l'écriture, qu'est-ce que cela lui interdit, est-ce que cela l'élève ? Frappe mécanique continue 17 minutes 28 secondes, images défilant à gauche sans pause, là fini : noir. J'aurais su dactylographier plus vite j'aurais noté plus de choses : c'est les doigts qui couraient après l'oeil. Et si vingt-cinq personnes s'astreignent au même exercice, qu'auront-elles vu d'autres ou vu mieux, et que feront-elles déceler à la langue que je n'ai pas atteint ? Est-ce qu'il s'agit encore de cinéma si on fait surgir l'image animée sur la page d'écriture même ? Et d'élargir ce principe à la totalité des choses filmées permettrait peut-être de les éliminer définitivement de notre mémoire qu'elles encombrent ? {{{ }}}

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 26 mai 2006
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