d’une histoire par Jean-Marc Bustamante
effet miroir du splendide isolement

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ou un autreTumulte au hasard  : que surveillait-on vraiment ?

Il y a exactement six mois que j'entendais Jean-Marc Bustamante raconter cette histoire mais je n'ai pas dormi cette nuit et c'est cette histoire qui me revient. Je ne me l'approprie pas, je témoigne que six mois après elle reste là auprès comme sont les histoires : un dépôt, une matérialité d'architecture, d'énigme et de parole, que chacun emporte avec soi, qui vous entoure dès qu'immobile. Il faut réfléchir à cette question des histoires, et cet assemblage qui nous définit chacun, mais se passe de vous aussi bien, puisque, vous disparu, quelqu'un d'autre est là pour les dire, c'est auprès de lui qu'elles se sont rendues. D'où la nécessité de les matérialiser, les redire : on ne s'occupe pas d'en faire mémoire, ça leur appartient en propre. Juste, on permet que cette mémoire soit éventuellement possible : la preuve, j'ai entendu cette histoire il y a six mois et elle est là auprès, sans notes, sans effort particulier de mémoire (sauf que c'était le jour où nous avions appris ces attentats de Londres, et que je m'astreignais déjà à cette prise d'écriture quotidienne). Hier, d'autre part, je lisais des réflexions de conteurs à ce propos. Par exemple Jean-Claude Carrière digressant sur cette classique et très ancienne entrée de clowns : - Qu'est-ce que tu fais là ? - Je cherche mes clés. - Tu as perdu tes clés ici ? - Non, mais ici il y a de la lumière. Et puis hier à plusieurs reprises il y a eu la violence des oiseaux. Je ne m'expliquerai pas sur cette phrase. Elle est en partie liée à mon insomnie, mais bien sûr pas complètement, puisque les oiseaux étaient réels. Comme réels les oiseaux dont parlait Bustamante. C'est une œuvre qu'il avait conçue sous le nom de {splendide isolement}. Il en a construit plusieurs versions. A la Biennale de Venise, il avait produit sous ce titre des cages à oiseaux en version luxueuses, avec des barreaux en cristal. Et les collectionneurs les avaient achetées, très cher, prenant l'engagement de soigner l'oiseau qui y vivait. Travail en miroir. Je ne juge pas de s'il est légitime, et de l'appropriation du vivant. Les gens comme Bustamante ont assez réfléchi ce qu'ils font. Rapport de l'œuvre au quotidien, implication de leur propriétaire dans une nécessaire relation à l'œuvre (Duchamp voulait que son acheteur cire aussi brillant que des chaussures, et aussi fréquemment, sa fenêtre de cuir noir). Insertion dans la cage dorée des riches d'une mise en abîme de leur propre condition : les collectionneurs sont conscients de payer pour une violence qui leur est faite, mais le livre non plus n'est pas indemne de ce processus. A Stockholm, Bustamante avait repris le dispositif. Une salle avec ces grandes cages luxueuses, vingt-quatre ou trente, chacune abritant un seul oiseau vivant. Quand il était revenu à l'exposition, un peu plus tard, une corde était tendue à l'entrée de la salle : « Vous pouvez regarder de loin, mais ne dérangez pas les oiseaux. » Bustamante revenait de Chambord. Dans ce haut lieu de chasse, mais aussi laboratoire de la faune sauvage, peut-être que les cages et les oiseaux signifiaient une autre dimension de la violence sociale. L'exposition s'appelait {Chassez le naturel}. Là aussi, il est revenu voir quelques jours plus tard. Il n'y avait plus ses oiseaux, la salle était fermée. Les gardiens lui ont expliqué que les visiteurs ne supportaient pas : « Ils étaient trop choqués, ces oiseaux tout petits, tout seuls dans une grande cage. » Alors chaque gardien avait pris une cage chez lui, une seule cage. « Ils s'étaient répartis les oiseaux, les avaient recueillis, pris dans leurs familles. » Je ne commente pas, et Bustamante d'ailleurs non plus n'avait pas commenté. S'agit-il de censure, ou bien la censure de fait que conserve-t-elle dans son geste de la provocation ou de la rébellion du geste artistique, ce qu'il convoquait de sens ? L'œuvre impose toujours une « saisie non hiérarchisée de la totalité de ses éléments », disait Bustamante, de ce qu'il cherchait. Et que sont devenus les oiseaux, les cages ?

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 28 décembre 2005
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