de deux théories qui s’affrontent
perspectives concernant l'homme-méduse, et de certains dangers

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ou un autreTumulte au hasard  : une chance par les transversales

Nous ne sommes pas si démunis, ou si inconscients, que le constat de la prolifération des méduses et la grande mobilité de l'espèce dans ses capacités d'adaptation n'ait pas déjà produit des analyses, des recherches. Deux théories s'affrontent. La première a semblé au départ la plus réactive, la plus immédiate. Agir simplement sur cette prolifération même. Enrayer la densification du phytoplancton aux estuaires, et le réchauffement dû souvent aux centrales, pas possible ou trop lent. Rétablir les espèces prédatrices, oui, cela se pourrait : les tortues sont longues à grandir, grossir, voyager. Nos sacs plastiques, le tourisme étalé sur les lieux de ponte, il faut enrayer tout cela, cela peut prendre du temps : on en a encore un peu de reste. D'autres espèces sont consommatrices de méduse. Mais on heurte à la double prolifération des espèces microscopiques en profondeur, inatteignables, et la prolifération de l'espèce géante, qu'aucune tortue ni aucun orque n'ose même entamer. La seconde théorie a semblé au départ plus irréelle. Elle tend maintenant à s'imposer. On ne sait pas encore élever ou faire se reproduire l'espèce géante en aquarium ou élevage. Mais on a notablement progressé sur les petites espèces, surtout pour ce qui concerne la plasticité neuronale. On a construit de premières expériences de transplant avec des systèmes de neurones plus frustes que le nôtre : cela semble concluant. Bien sûr, du chemin reste à parcourir, un long chemin. Mais le fait que la méduse soit un mollusque, le fait que ces espèces géantes soient aussi aisément travaillables et greffables, le fait que les neurones puissent se développer chez la méduse sans assignation préalable à un lieu spécifique a permis les premières révolutions dans le domaine : on peut à brève échéance concevoir le transfert de cerveaux humains dans la gigantesque méduse japonaise des mers froides, et bientôt dans certaines espèces intermédiaires quand s'affinera la technologie. Deux grandes questions furent aussitôt soulevées : la reproduction de ces cerveaux. Avec les systèmes plus élémentaires, les avancées aussi sont optimistes. Dans une première étape, là où on transfère le cerveau, il faut aussi implanter des gènes dans le système sexué de la méduse, qui produit de toutes façons les semences mâles et femelles. On a réussi récemment la première reproductibilité d'une méduse dont le système neuronale était transféré d'une espèce plus complexe (aplysie). La seconde question était, dirait-on, exogène : comment transmettre en parallèle ce dont nous sommes dépositaire, et nos outils, et notre faire ? Les réponses pour l'instant ne sont qu'embryonnaires. On a néanmoins des pistes. La première concerne l'élaboration de Dépôts Sous-Marins de Savoirs. Des bases à configuration métal et céramique, immergées, configurent des numérisations et cartographies de notre savoir. Elles sont duplicables. Les méduses peuvent s'y fixer et mémoriser dans le système neuronal implanté les données transmises. Là aussi, de premières expériences simples sont concluantes. Parallèlement, on développe les ordinateurs à base cellulaire biologique. Ces bases immergées seront alors agies par les méduses. On avait fait des films d'anticipation : c'était magnifique les cerveaux presque eux-mêmes translucides dans la masse gélatineuse dure : ils en semblaient plus grands et disséminaient, on voyait presque les neurones prendre l'espace selon leur fonction. Les animaux nageaient lentement, la pensée se libérait du temps. A terme, sans boîte crânienne, une nouvelle fonction pensée viendrait à naître, autrement spatialisée, plus différenciée : le noyau originel du cerveau humain s'était finalement résorbé, les deux hémisphères étaient devenues deux ailes formidables poussant elles-mêmes leurs embryons, plis et déplis. D'étranges objets se créaient par ces variétés naines de méduse, à peine plus grandes que le cerveau humain qu'elles hébergaient. Les tentacules qu'ils surplombaient vivaient, et ces bêtes avaient des yeux. A elles les tâches de défense et d'organisation sociale. Si une phase de transmission, de coordination, d'interaction est naturellement nécessaire, on peut envisager qu'en quelques générations puissent se reproduire, apprendre, et enfin agir des cerveaux humains au départ implantés dans les méduses géantes du Japon, qui s'y prêtent remarquablement. L'évolution très rapide, particulièrement en Chine, des recherches sur les ordinateurs à base de matériel biologique rend possible à brève échéance l'apparition d'un {faire}, de procédés de mémorisation et d'apprentissage, indépendants même d'un langage. Ce serait peut-être ici la nouveauté principale. On a pu lire récemment de premiers écrits à teneur plus philosophique : la pensée, dans ces nouveaux organismes, débarrassés des tâches terriennes de la nécessité (voyager, creuser, transformer par le feu), disposerait d'une permanence, d'une immobilité et d'une sécurité qui nous sont encore inconcevables. La vie d'un cerveau humain dans une méduse capable d'apprendre et d'agir via ces Dépôts sous-marins à mémoire biologique pourrait être un destin et un échange absolument positifs du point de vue de nos deux espèces. La question revient à l'opposition des deux théories : bien sûr il n'était pas question de développer l'une sans l'autre. Après avoir provoqué involontairement le déplacement de l'espèce dominante vers la méduse, après avoir réussi ces formidables greffes de notre cerveau et notre savoir dans le monde sous-marin et assuré ainsi la permanence de notre histoire, le monde était de nouveau confronté à des prédateurs que la fin de l'homme multipliait, mais avait elle-même causée. Dans la société qui s'organisait (malgré les conflits inévitables entre variétés à cerveau et variétés dites naturelles, entre les espèces microscopiques qui elles aussi s'étaient modifiées sur les dépôts biologiques, avaient acquis des capacités de savoir, mémoire et actions partielles, entre l'inégal développement des espèces géantes à cerveau complexe peu à peu capables d'investir les mers les plus froides, les plus profondes, et les espèces des eaux chaudes ou fermées), comment se défendre de la prédation massive par les tortues protégées, renouvelées, agressives, ou les orques à bec corné débarrassées des navires-usines et de l'extermination massive ? Il y avait aussi la confrontation, difficile, avec les survivants de l'espèce terrienne, même après la catastrophe. Ils jalousaient l'espèce devenue, la chassaient : ils restaient maîtres de la terre détruite, mais ils n'avaient pas l'eau. Les savoirs se sont séparés : il leur en restait quoi, de toute façon ? Les plus formidables perspectives offertes à une éventuelle survie de l'espèce humaine, du moins de son cerveau et ses savoirs, restait inévitablement dans une précarité globale et soumise aux dangers les plus anciens, voire pré-humains. Nous en sommes là. Est-ce une raison pour ne pas avancer dans ces recherches ? {{{ }}}

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 5 janvier 2006
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