une chance par les transversales
chemins qu'il faut parfois se forcer à prendre

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ou un autreTumulte au hasard  : autre variation Baudelaire

Première version : 6 février 2006.
C'était à Rennes, il y a quelques semaines. J'avais été en visite dans un hôpital psychiatrique, où ils ont un atelier d'écriture. Plutôt que lire de mes textes, j'avais commencé la rencontre en me saisissant de leurs textes à eux, et les lisant à haute voix : les lisant pour eux, qui les avaient écrits. Et puis, dans la discussion, l'un d'eux s'était mis à m'appeler {Fromage Blond}. Je ne suis pas blond, et ne m'appelle pas {Fromage Blond}. Mais il a répété cela au moins trois fois, avec comme de l'amitié. Ça sonnait bien, pour lui, {Fromage Blond}. Et puis cette drôle de question : « Fromage Blond, quand tu écris un livre : il y a des personnages. Est-ce si on écrit pour un personnage qui n'est pas soi-même, on est schizophrène ? » Il avait même rajouté, comme une évidence : « Je suis schizophrène. » Alors ce matin Fromage Blond s'est mis à son ordinateur et s'est parlé à lui depuis l'autre. Voilà : « On était devant le pont et on parlait. « On n'était pas triste, non, encore moins mélancolique : -- Tu aimes trop ce mot, mélancolique, il avait dit comme si ça changeait quelque chose. « Juste, je disais : -- On est sur le bord, au-dessus regarde, ils continuent, ici normalement c'est sans arrêt. Et nous on va traverser, nous on prend ce chemin où il n'y a personne. « Quand ces trains des bords de ville passaient, le vacarme était tel qu'évidemment il fallait se taire. « J'avais dit : -- Bien sûr, c'est sans promesse. Il suffit de voir... « Puisque c'était quoi, ce chemin : des souterrains, des tournants, l'éternelle misère de ces bords de route avec panneaux. Et pour tomber au bout sur encore une zone commerciale, encore des ronds-points des des immeubles : aurions-nous habité là ? « -- Qu'importe, j'ai dit. « Je pensais à un livre : on est perdu, quand on écrit un livre, pour cela même. Cette masse au-dessus de soi du monde emporté, et ce vacarme qui vous fait taire. Et puis que le chemin est sans promesse, et qu'au bout probablement ce n'est que recommencement du même. « -- Mais le chemin, j'ai dit. Ce qui respire seulement par ce fait d'arrêter les signes, de les dénombrer. Et que là tout de suite on est seul. « Il m'a répondu que mes allégories ne l'intéressaient pas. - Tu est trop obstinée, il m'a dit, bien trop obstinée, sans arrêt obstinée. « Mes livres et les siens n'ont jamais été les mêmes. -- Ce n'est pas seulement les autres, là-haut, je lui ai dit, emportés. Une figure qu'il convient peut-être de s'appliquer à soi-même. Se forcer à ce qu'il y ait arrêt, se forcer à regarder au travers des lignes tendues, obligées. Prendre par le travers : et si justement c'est parce qu'on va le prendre, le chemin, qu'il n'y a plus ici de signes ? « Il m'a dit qu'il retournait vers la gare. On en venait, de la gare. Une rue très longue, bien sûr une rue longue. C'est lui-même qui avait voulu me montrer. Fatigué, il avait dit, plus envie, tout ça. Moi j'ai dit que d'abord j'irais voir. » Je reprends la parole, moi. Nous étions devant ce chemin. Je parle pour elle, qui ne me disait rien. Est-ce qu'on peut écrire ainsi en miroir, en se faisant passer pour l'autre ? Pourquoi, de toute façon, ne me disait-elle rien, jamais rien ? Est-ce qu'il y aurait eu ce livre sinon ? La solution est-elle à Rennes, et devrais-je y retourner le savoir ?

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 27 mai 2006
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