Vols de sculpture : des bronzes exposés dans les parcs publics, ou sur le campus d'universités anglaises. Les voleurs viennent avec un camion, soulève le bronze avec leur grue et partent. Une œuvre de Moore est trop connue pour être vendue, et rien qui relie, en style ou intérêt, la vingtaine d'œuvres disparues. On suppose donc seulement qu'il s'agit de les couper au chalumeau et les revendre au poids. On parle de la forte demande de cuivre sur le marché chinois. On se souvient de Spoelberch de Lovenjoul rachetant aux poissonniers du quartier les manuscrits de Balzac que leur avait cédés madame veuve au prix du papier. Planète jumelle. Elle est près du centre de notre galaxie, dix fois plus grosse et un peu plus chaude. Elle semble solide. On les dépiste par une sorte de travail en creux, déflexion des rayons par masse gravitationnelle. Calculs qui doivent être bien compliqués. Juste à deux mille années lumières de chez nous. Nouveauté : de ces planètes désormais décelables on ne dit pas qu'on a de la chance de les observer, on dit qu'elles sont certainement plus nombreuses que prévues, si les observer a été si rapide. Effondrement de ce toit en Pologne. Plusieurs dizaines de personnes happées sous l'écroulement. Des masses de neige gelées sur la tôle ondulée. Deux heures plus tôt, le bilan aurait été bien plus terrible. Il s'agissait d'un salon de colombophilie : les pigeons voyageurs. Ça intéresse donc tant de monde, en Pologne ? Oui, puisqu'il s'agit de Katowice, région de mine. J'ai traversé une fois, en train, de Wroclaw à Cracovie. Les hommes du fond de la mine élèvent chez eux les oiseaux capables de naviguer dans le ciel des villes, c'est eux, ce samedi après-midi, qui étaient venus en habit de fête à {Pigeon 2006}. Pas de survivant : « la neige sur la tôle agit comme un congélateur », dit un des responsables des secours. Le prêtre local leur a donné absolution de groupe. Le pigeon le plus cher du monde, un pigeon champion, a été vendu l'an passé deux cent mille euros : son propriétaire était un ouvrier de Calais (notons que l'agence France Presse tient à préciser : un {simple} ouvrier de Calais). Achat forcé d'Arcelor (dix mille personnes en France, trente mille en Europe) par un groupe plus gros. Le Monde en gros benêt naïf imprime avec de l'encre sur du papier d'arbre la phrase suivante : « M... (le patron du groupe acheteur) déclare qu'il n'y aura aucune fermeture d'usine. » Comme on ne coordonne pas bien les services, dans cette page concernant les titres boursiers comme si ça intéressait quiconque (je suppose que ceux qui s'y intéressent et y trafiquent se servent plutôt d'Internet que du journal du soir) : « Avec la reprise des OPA, les marchés retrouvent le moral. » Je pense à Barbara G., une ancienne Daewoo qui à Arcelor Sollac est devenue « pontier » : ils se commandent au doigt et à la tête par une console électronique, les larges ponts roulants au-dessus des fours et laminoirs, à quinze mètres du sol, en trois fois huit. Et elle, elle l'a, le moral, avec la reprise des OPA ? Exactement : {Les indices européens ont inscrit de nouveaux records historiques, vendredi, dopés par l'annonce de l'offre publique d'achat (OPA) de Mittal Steel sur Arcelor}. Lettre écrite par dix détenus de la centrale de Clairvaux au garde des Sceaux contre « la mort lente programmée » : {nous demandons à l'État français, chantre des droits de l'homme et des libertés, de rétablir instamment pour nous tous la peine de mort effective.} Suivent dix noms, et l'étrangeté de cette syntaxe dessus dessous : {Soussignés, les susnommés ci-après du mouroir de Clairvaux : Abdelhamid Hakkar, André Gennera, Bernard Lasselin, Patrick Perrochon, Milivoj Miloslavjevic, Daniel Aerts, Farid Tahir, Christian Rivière, Jean-Marie Dubois et Tadeusz Tutkaj.} Le ministre de l'Intérieur s'en prend aux violences conjugales, je découvre leur appellation officielle : {violences non crapuleuses}. Un lot de poulets surgelés saisi en douane : non pas la grippe aviaire, mais qu'ils étaient remplis de paquets de cocaïne. Distribution de cent cinquante tente igloos aux sans-abri de la capitale : les réactions ce n'est pas tant parce que ça les protège, c'est parce que tout d'un coup on ne s'y reconnaît plus. Une ville qui devient camping, plus insupportable que ces corps partout sur les marches, partout sur les trottoirs. Encore les collèges : {Mardi matin, une enseignante d'une trentaine d'année, enceinte, s'était interposée dans une bagarre et avait réclamé son carnet à un élève de 6e. Alors qu'elle insistait, l'élève lui a sauté à la gorge, applaudi par ses quelques camarades présents dans le couloir [..] Elle a été choquée, car l'élève l'a accusée d'avoir essayé de le frapper} et moi c'est dans ce détournement du mot {choquée} que je retrouve ceux que je connais, d'enseignants. C'est pour le moral du dimanche. Est-ce qu'il faudrait faire cet exercice au quotidien? Jacques Rebotier me le proposait, l'autre jour : on viendrait chaque soir dans une salle de théâtre, on nous apporterait le journal du jour, nous ne le découvririons qu'à cet instant, et on improviserait et raconterait pendant une heure. Il insiste, d'ailleurs, pour qu'on le fasse. Mais résister suppose de savoir encore échapper: par les inventer, les histoires, et se souvenir des chambres, des visages, ces de quelques {passants célestes} qu'on a pu croiser. A propos, cette semaine, j'ai revu Fellini. Nous sortions, les étudiants et moi, de ce premier cours aux Beaux-Arts. Le théâtre avait été installé le matin. Un agent de sécurité était même venu visiter l'amphi, et avait voulu savoir ce qu'on y faisait, de quoi j'allais parler : je le lui avais dit. Il avait son oreillette, son costume bleu, et ça lui paraissait bien irréel, qu'on parle pendant deux heures de Rimbaud. - Alors, comme ça, juste vous parlez ? Des tentures, des camions buffet, et les mannequins avaient dû arriver un peu plus tôt. Nous, c'est les invités qu'on regardait arriver. Un embouteillage de taxis, de grosses voitures grises. Et quelques-uns de mes rapins qui faisaient bien exprès de traverser avec la salopette pleine de peinture pour montrer qu'ils étaient chez eux, et non pas les bourgois toutes fourrures dehors et emplâtrés largement, fiers d'être les élus. Défilé de mode. Moi c'est le monde que je voudrais voir ce soir défiler, sur ce même podium : les soixante-cinq mineurs de Pologne, qui aimaient trop les pigeons, un par un (leurs noms chuchotés par Roman Opalka). Et les blafards à cravate, cloportes de banques, qui se font déjà leurs affaires rivés à leurs écrans d'ordinateur pour grappiller trois sous sur le dos d'Arcelor et à demain la suite. Et ces types avec leur camionnette, embarquant les six cents kilos du bronze de Henry Moore pour le revendre au poids. Nous regardions cette humanité invisible, du moins ordinairement terrée dans des niches où nous n'avons pas accès. Bien décatie, la bourgeoisie. Fellini en riait avec nous, il était là, je le sentais, comme lorsqu'il passait autrefois avec son chien, furtivement, dans le parc de la Villa Médicis, ça l'aurait embêté qu'on lui parle, mais un petit sourire il aimait bien, et répondait pareil. Fin de dimanche. Rien fait aujourd'hui, rien.