têtes bien faites et queue qui remue
nouvelles techniques pédagogiques

retour sommaire
ou un autreTumulte au hasard  : la poignée de main de Rimbaud

On nous faisait visiter la nouvelle école. Les couloirs ressemblaient à toutes les écoles, mais on avait veillé au confort. Des salles parfois rondes ou en octogones. Des allées couvertes pour les jours où il pleuvrait. Une cantine qui ne soit pas d'un seul bloc et où on puisse s'assembler par groupes. Une grande bibliothèque aussi. Puis ce qu'il fallait pour les animaux. Les animaux, on l'avait décidé, auraient ici la première place. C'était encore une idée neuve, qu'on n'avait pas expérimentée en grand. Tout semblait concluant. Les soins aux chevaux pour la dyslexie, la déambulation de chats dans les salles d'étude, un vaste aquarium là où on attendrait avant le processus disciplinaire. On avait la chance d'une collaboration étroite avec l'école vétérinaire. Il y aurait des prêts d'animaux, des mises en pension. Dans ce qui avait auparavant eu destination de gymnase, on avait bien sûr multiplié les agrès, mais ils ne serviraient qu'à quelques variétés robustes de singes, qu'on avait choisis les plus sociaux ou les plus anthropomorphes. Passer du temps ici, où la jungle aurait vite grandi jusqu'au toi, valait bien ces éternelles séances rabâchées de gym sur tapis de sol. Qu'on nous promène ce miroir au bord des routes, affirmait-on. Et puis ce serait la première fois qu'on travaillerait à échelle d'une collectivité tout entière par le chien. On a trop médit du cerveau du chien. Il est très difficile à nous représenter, pour nous, le cerveau du chien, dans ses pulsions traitées sans hémisphères, où l'appel brut de manger, gronder ou défendre, passe par des manifestations corporelles qu'on assimile souvent trop vite aux nôtres propres. Déjà, remplacez la vue par l'odorat qui seul est véritablement aiguisé, découplez l'ouïe du sommeil, tâchez de construire cette reconnaissance au maître par quoi le chien l'identifie en partie à tous ses congénères grands ou petits qu'il aperçoit ou sent d'un bout d'une rue à l'autre. Mieux valait des chiens éducateurs que la multiplication de ces agressions, des chiens dressés pour l'accompagnement des vigiles. On avait repris et diffusé largement les articles témoignant des premières expériences. L'enfant lit au chien. Le chien a cette qualité, lorsqu'un gosse s'accroupit ou s'assoit par terre près de lui, qu'il gardera le regard fixé sur l'enfant. Que les oreilles se déplaceront selon l'inflexion de la voix. Et souvent, à la fin, parce que le chien a perçu qu'il va se passer quelque chose, il remue la queue de contentement. L'enfant met les nuances, se veut entraînant, s'oblige à être compris. L'histoire doit avancer, les repères en être clairs. L'enfant aura plaisir à lire son histoire. Le chien ne va pas « corriger les élèves, ou les reprendre. Il les accepte tels qu'ils sont », c'était le slogan premier de cette méthode d'assistance, et des progrès qu'elle entraînait. Il faut bien sûr des chiens calmes : mais est-ce que cela aussi ce n'est pas un progrès. Au dimanche, on les mettait en pension dans les familles d'élèves. C'est qu'on ne se reçoit pas toujours les uns les autres, dans les villes d'aujourd'hui. « Les chiens passent un examen médical et un test de personnalité. Ils doivent être calmes et sociables. Avant les sessions, ils sont brossés et passés au déodorant pour limiter les risques d'allergies. En plus de la lecture, les enfants sont invités à brosser le chien ou à lui caresser les oreilles. La relaxation aide les enfants », on nous précise lors de la visile. On a évoqué bien sûr ces livres conçus dès à présent pour cette forme d'utilisation. On en commanderait à quelques écrivains volontaires. Il en naîtrait probablement des histoires d'animaux, des contes à merveilles, des aventures loin des villes. Qui pourrait voir ici une méchanceté quelconque, et dans ce que deviendraient plus tard les enfants habitués tôt à ce travail, cette compagnie ? ----
Source :
{{{L'élève Jennifer lit, le chien Ross l'écoute}}}
LE MONDE | 04.02.06 | 13h28 • Mis à jour le 05.02.06 | 11h21
GAITHERSBURG (Maryland) ENVOYÉE SPÉCIALE
à découvrir : [le blog de Corinne Lesnes->http://clesnes.blog.lemonde.fr/] La directrice de l'école le reconnaît : "Au début, ça m'a paru complètement farfelu." Elle s'est habituée, les professeurs aussi, et plus personne, à la Washington Grove Elementary School de Gaithersburg, ne s'étonne de voir arriver Barbara Murgo avec son chien. Comme tous les mardis matin, on accroche sur la porte de la classe la pancarte Beware, dog reading (Attention : chien lisant). La séance peut commencer. Ross, 8 ans, s'installe sur le tapis de lecture. C'est un setter irlandais de 48 kilos. Il a le poil long, couleur châtaigne, et trois cartes d'accréditation autour du cou. Précisons-le tout de suite : ce n'est pas lui qui lit, ce sont les enfants. Ross se contente d'écouter.
Chacun à leur tour, les écoliers viennent s'asseoir sur le tapis, et lisent une histoire au grand chien. Ils choisissent généralement une histoire d'animaux : Si vous donnez un cookie à une souris ou Tom le télé-chat. Au besoin, ils lui montrent les photos. Barbara Murgo aiguille l'apprentissage. "Est-ce que tu peux expliquer à Ross ce que veut dire le mot imagination ?" Jennifer Flores, 10 ans, n'est pas très sûre de la définition. Barbara explique. Deux pages plus loin, Ross ne sait pas non plus ce que signifie "pollution". "C'est comme chaud ?", interroge la fillette.
La lecture à chien est une méthode pédagogique qui commence à entrer dans les écoles américaines. Elle est destinée à encourager la lecture. "Les enfants sont en confiance. Ils n'ont pas peur de faire des fautes", dit Barbara Murgo. Le grand avantage du chien, c'est qu'il n'a pas l'esprit critique. "Il ne va pas corriger les élèves, ou les reprendre. Il les accepte tels qu'ils sont". Il n'y a qu'à regarder Ross. Ce n'est pas lui qui irait reprocher à Martha Leonzo, qui est en CM2, de dire "planète" pour "pacifique". Il est affalé sur le tapis, en position de sphinx, et il a commencé à fermer les yeux.
La méthode (dite R.E.A.D pour Reading Education Assistance Dogs) a été inventée dans l'Utah. Elle a été inaugurée à la bibliothèque municipale de Salt Lake City en 1999. Les enfants étaient récompensés par des livres enrichis d'autographes, si l'on peut dire, de la patte du chien. Le programme s'est répandu dans quarante-cinq Etats. On compte 850 brigades canines. Sur les 130 écoles publiques de ce coin de Maryland, deux l'utilisent. Les enseignants n'en font pas une affaire. Ils reconnaissent aisément qu'ils n'ont pas le monopole du soutien scolaire. Kathy Van de Poll, l'institutrice de Gaithersburg, n'est pas vexée. "C'est très différent de ce que nous pouvons offrir. Cela ajoute du plaisir à la lecture." Les chiens sont formés. Ils ont passé un examen médical et un test de personnalité. Ils doivent être calmes et sociables. Avant les sessions, ils sont brossés et passés au déodorant pour limiter les risques d'allergies. Ross n'a pas eu de difficulté. A peine a-t-il enfilé son harnais vert qu'il se sent en mission. En plus de la lecture, les enfants sont invités à brosser le chien ou à lui caresser les oreilles. La relaxation aide les enfants. "Ils sont moins nerveux à l'idée de devoir lire". Quand on demande à Martha ou à Jennifer si elles aiment lire des histoires à un chien, elles donnent la même réponse : "Il écoute, il fait attention". La preuve, dit Christian Posada, 9 ans : "Il agite la queue."
La Washington Grove Elementary School utilise surtout la méthode pour les enfants de langue maternelle hispanique. Comme dit la directrice, Kathy Brake, l'école est "un reflet de l'Amérique d'aujourd'hui". Elle compte 45 % d'Hispaniques, 22 % d'Africains-américains, 12 % d'Asiatiques. Derrière son visage rural de village du Maryland, Gaithersburg abrite une communauté dortoir, à 40 km de Washington. La moitié des 355 enfants ont droit à la cantine gratuite, ce qui signifie qu'ils vivent sous le seuil de pauvreté. Quand Ross n'est pas là, c'est Tucker, un épagneul, qui prend le relais sur le tapis de lecture. "J'aimerais qu'on puisse avoir plus de chiens", dit la directrice.
Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 05.02.06

LES MOTS-CLÉS :

François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 7 février 2006
merci aux 1397 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page