aspects juridiques neufs des e-mails
à propos d'un procès en cours, et des bafouillements du droit

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ou un autreTumulte au hasard  : ça le faisait bien rire, Federico

J'étais content d'avoir échappé à ce procès. Ça aurait pu aussi bien tomber sur moi. Combien de fois on se dit ça, ce qu'on devrait faire, qu'on ne fait pas, et quand ça y est, ça vous tombe sur la figure fichu, plus rien que traverser le tunnel. Donc il y avait là-dessous des points épineux de droit, je n'y aurais jamais pensé mais c'est sans doute une bonne définition du droit que d'inventer sans cesse son emprise là où personne n'a rien demandé. Ainsi j'ai récemment appris que faire état publiquement d'une correspondance privée était pénalement répréhensible. Par exemple, moi qui m'amuse souvent de l'étrangeté du courrier reçu d'inconnus, en faire état comme je l'ai fait régulièrement sur mon site Internet aurait pu me valoir des poursuites des intéressés. Je le sais, je me méfie. Une fois j'ai vu ça chez un ami, universitaire allemand ayant pris sa retraite à la campagne, ici en France : une suite de gros classeurs gros, de ce genre dans lequel on perfore la feuille avant de la ranger. Copie de tous ses courriers électroniques reçus, qu'il imprime à mesure et classe par mois et par années, avec un système pour retrouver facilement les destinataires (une encoche sur la partie verticale de la feuille, correspondant à une jauge selon la première lettre du nom de l'envoyeur. On avait avant l'informatique des systèmes de ce genre : nous l'utilisions au garage pour organiser les tournées des vendeurs, selon la ville visitée, selon le véhicule possédé. Mon ami allemand s'était étonné : ainsi, je ne compilais pas les e-mails reçus ? Et comme on regarde chez un peintre ou un auteur l'organisation de la table et du matériel, entre mordus du clavier, sans toucher physiquement à l'ordinateur de l'autre (ce serait impoli), le temps qu'il accomplisse trois manipulations simples on a enregistré - ce n'est même pas volontaire - comment il organise son disque dur, range son écran, circule dans ses fenêtres. Ainsi donc, d'un proche se revendiquant pourtant plutôt du désordre, la surprise de constater l'emboîtement dans sa boîte mails de dossiers et sous-dossiers parfaitement ordonnés lui permettant de retrouver tout courrier reçu ou envoyé depuis des années : sa fierté qu'ils passent les dix mille, et tous rangés. D'ailleurs, les logiciels de gestion de courrier tiennent désormais compte de cette nécessité où nous sommes : retrouver dossier mails Avignon 2004, Bruxelles Schaerbeek 2005 et ainsi de suite. Ainsi, il y a deux ans, un échange qui m'amusait pas mal, avec un auteur plus jeune, ce qui n'empêchait pas son insolence : mais ça me distrayait. Au bout de deux mois : - Tu as gardé tous mes mails, j'espère ? - Ah non. Et il ne m'a quasiment plus jamais écrit, que pour l'utile. Alors j'ajoute dans mes dossiers utilitaires quelques rubriques : une pour les litiges et choses pas agréables, une que j'ai nommé « curiosa », et aussi des rubriques portant le nom de leur auteur, Pintoux, Tordjman, comme j'ai dans mes dossiers du haut des rubriques Beaux-Arts ou Pantin. Mais suis-je responsable de la mémoire ainsi confiée ? Donc voilà, ce procès s'est ouvert. Un monsieur X. poursuit mon ami P. de n'être plus en mesure de lui fournir copie d'une longue correspondance mail échangée, et le droit s'amuse : destruction de bien individuel confié aux bons soins d'autrui, valeur subjective considérable pour l'intéressé qui n'aurait jamais écrit s'il avait pu penser que tout cela serait remisé à la case effacement. Moi j'imagine bien combien pourraient ainsi me poursuivre. Et dans ce procès l'avocat de la défense rétorque que le cas inverse serait envisageable : archiver ce qu'on vous confie sous le sceau du secret, de la communication personnelle, c'est changer la nature de ce courrier, alors que l'ordinateur n'est plus considéré du même domaine privé qu'un journal intime manuscrit : à preuve que si on stocke des articles de journaux, des logiciels d'échange individuels, des numérisations de livres, on relève de la contrefaçon ou de taxes. Moi je le dis, et à tout bon entendeur salut : archivez tant que vous voudrez les courriers que vous m'envoyez, c'est même prudent (j'en perds, il faut me les retourner, et ce qui m'arrive par la poste souvent attend des jours avant d'être ouvert, quand je l'ouvre), mais sachez que non, même si mon ami P. perdait ce procès pour effacement de correspondance, je m'accorderais devoir de désobéissance. Non mais, quel monde, à vouloir ainsi plaider de tout.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 30 mars 2006
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