vitrines du non rêve
j'écris si souvent sur les aires d'autoroute

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ou un autreTumulte au hasard  : il n’est cimetière que Paris

Les palais pour le matériel à images sont des coques luxueuses, vous vous y promenez comme en suspension permanente, tout brille, et toujours du nouveau. On connaît les adresses. On n'échappe pas de visiter, de temps à autre, on s'en donne prétexte. Ailleurs dans d'autres pays cela prend allure de caravansérail et braderie, toute peuplée et remueuse. Nous avons, nous, ces vitrines, au long des autoroutes. Je ne méprise pas les boutiques d'autoroute. Elles y accueillent lourde charge d'humanité. C'est une fonction anonyme, circulante, qui fait aussi que ces aires au long de l'autoroute A 10 servent de plaque d'échange pour nombre de trafics : la drogue y circule du Maroc à la Hollande, et s'y vend au prix de gros pour les villes qu'on croise. Des cargaisons qui n'ont jamais connu la douane s'échangent de camion à camion, elles concernent des vêtements, des cuirs, des meubles, et bien sûr aussi ces appareils électroniques. Je m'arrête souvent, quand j'ai occasion, dans ces grandes aires d'autoroute à hauteur d'Orléans : restez-y deux heures, quel spectacle. Cette vitrine, pour qui va-t-on l'ouvrir ? Ce sont des appareils sans marque, des appareils minuscules et pas chers. On peut les brancher dans la cabine d'un camion. Tous les chauffeurs poids lourds, désormais, sur autoroute du moins, regardent la télévision en roulant : qui leur en voudrait ? Les appareils sont divers, on peut cuisiner, réchauffer, refroidir, congeler, on peut s'orienter, dépister les radars ou écouter les fréquences radio de la maréchaussée, on peut visionner des films, qu'on les prenne au format DVD ou DivX ou qu'on les réalise soi-même. Mais je n'ai jamais vu, même en restant longtemps, quelqu'un demander qu'on lui ouvre la vitrine aux merveilles. C'est vendu sans taxes, si vous affirmez l'emporter par delà les frontières : les autoroutes ici rejoignent sans s'interrompre toutes les frontières. Reste que la vitrine la plus élémentaire sera toujours la plus convaincante. La pièce à télévision accueille des plantes vertes de façon aussi ouvertement joyeuse qu'au funérarium ou à l'hôpital. Le carrelage au sol est nu. L'appareil de télévision est vissé au plafond. Il diffuse en bulle de couleur du sport, en continu. Ce matin-là un homme, un chauffeur routier probablement, est debout sur le carrelage nu et regarde le match de football sans le son, au plafond. Je passe plusieurs fois, à plusieurs moments différents, il est là, toujours. Et nul pour s'intéresser aux gadgets miniaturisés de la vitrine à faire rêver : les marchandises érotiques, là-bas, et même ces peluches standardisées pour enfants qui auraient oublié la leur à la maison, ou ce présentoir de livres consacrés à la santé facile, la santé par vous-mêmes et tous les bienfaits de la relaxation, du massage, des plantes, promettait plus de bonheur que la vitre de verre fermée à clé sur les écrans éteints.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 10 avril 2006
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