hébergement à volonté
matériel, paix et connexion

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ou un autreTumulte au hasard  : propagation exagérée des prénoms

Ainsi, dans cette ville, aurions-nous à proposer des bâtiments où chacun trouverait à volonté hébergement. Bien sûr il y aurait des tours de rôle, des candidatures, des dates limite. Mais les installations étaient suffisamment simples ou sommaires pour que la rotation concerne sans les léser la plupart des volontaires. Dans le bâtiment à multiples étages et couloirs en longueur, on disposait donc ces cabines en verre. Le verre était important. On pouvait dormir, se reposer, ne rien faire, ou au contraire rester à sa machine pendant les heurs qu'on souhaitait, y compris de nuit : la cabine pendant le temps assigné vous appartenait en propre. On pouvait la quitter, d'ailleurs le bâtiment fournissait à tout. Sanitaires dans chaque couloir, au sous-sol le lieu d'amusement (un baby-foot, un billard, des canapés autour d'une table basse, des distributeurs de boisson), mais aussi une vraie cuisine, des téléphones. On pouvait même marcher dans les couloirs, monter à pied les escaliers, et le toit était aménagé pour qu'on puisse y prendre l'air, certains ne parvenant à s'en dispenser. La condition véritable était suffisamment astreignante : une fois entré dans le bâtiment, vous y demeuriez pour le temps accordé, et nulle dérogation, à moins de démission ou d'accident (c'était arrivé, et même des réactions violentes). Moi j'avais postulé plusieurs fois, et je mettais au plus haut cette première sensation d'entrer dans la cabine vide et nettoyée, juste avec ses écrans. On pouvait s'installer de la musique, on pouvait demander quelques accessoires supplémentaires, on pouvait empiler dans un coin de la table les livres qui vous étaient nécessaires : la plupart des résidents ignoraient les livres, du moins les livres de la littérature, mais respectaient très bien qu'un fou de livres séjourne parmi eux et y consacre ses machines. De toute façon, les conversations entre résidents étaient rares. Déjà, dès que vous étiez dans la cabine vitrée, la règle voulait qu'on respecte votre isolement. De se s'apercevoir les uns les autres, tête penchée sur les écrans, était un soutien considérable, surtout ici où les lumières allumées en permanence vous autorisaient facilement à rompre avec les rythmes diurnes. Pour manger et les autres commodités on se saluait, on échangeait trois mots, parfois même de véritables conversations sur la technique, l'amélioration des machines, et en ce moment les agrégateurs de flux (je m'étais pris de passion pour le développement des agrégateurs de flux, et leur application à la recherche littéraire), mais qu'on fasse un signe de la main et qu'on retourne en cabine, qu'on aperçoive juste, de loin, la silhouette voûtée du collègue, et on respectait son travail. C'était la troisième fois que je venais en cabine. Ce bâtiment était plus neuf que les autres. Beaucoup de gens travaillaient chez eux solitairement, et c'était un vrai bonheur que la mise à disposition, désormais dans chaque quartier, des « résidences », comme on disait, et parce que c'était le mot le plus simple : les mots les plus simples sont toujours ceux qui conviennent le mieux. Nous, les écrivains, on était habitués aux résidences (il n'y avait plus beaucoup d'écrivains, du moins d'écrivains déclarés : et dans l'informatique ils écrivaient plutôt phonétique, les camarades, pareil que leur conversation : parler d'un film ça oui, à la portée du premier venu, parler d'un livre, non. Donc la première fois j'avais demandé pour un mois, la seconde fois pour six semaines (un gros travail à finir, et le besoin d'oublier trop de voix, la nécessité de s'appliquer aux livres emportés), ce soir ça y est, j'y suis installé pour quatre mois. On m'a rétorqué : la bouffe, le silence, la répétition ? Cela m'indiffère. J'y vois du confort, au contraire. On m'a dit : comment vous pouvez accepter, on a viré des gens de ces immeubles (c'était auparavant une cité universitaire) pour y ajouter ces verrues de vitres et ces câbles ? Mais moi je voyais ce travail que je voulais y faire. Quatre mois, vous vous rendez compte ?

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 10 mai 2006
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