mon grand projet avec Douteau
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ou un autreTumulte au hasard  : vitrines du non rêve

Ça nous était venu dans ces conversations de l'année du bac. On avait à peu près la même conception de la vie en général, de ce qu'on aurait à faire chacun de son côté, et les comptes à régler avec soi-même, un besoin de tranquillité plus peut-être ce zeste adolescent : on n'était qu'en terminale, lycée Camille-Guérin à Poitiers, et la provocation qui vous revient il faut bien l'inventer. En fait on avait deux versions. Dans une version, simplement on abandonnait un des deux noms, on travaillait et vivait tous deux sous le même nom. Pas sous le même toit, mais sous le même nom. Boulot, impôts, vie sociale, c'était sous le nom Pierre Douteau. Voilà, et personne ne saurait jamais que derrière il y avait deux bonshommes. On mettait des forces en commun, Pierre Douteau réussirait bien. Il écrirait des livres, voyagerait, gagnerait sa vie, et on se plaisait à imaginer comment à deux on ferait tout cela en même temps.
C'est dans les obligations d'un monde qui nous barbait qu'on commençait surtout d'y gagner. L'un d'entre nous s'occupait des apparitions publiques de Pierre Douteau, on pouvait faire cela chacun selon l'endroit, ou tour à tour. L'autre restait pendant ce temps-là attelé au seul métier qui vaille, celui de vivre, d'écrire (on écrivait beaucoup, cette année-là, mais d'autres aussi dans la thurne de l'internat), et puis ces premières découvertes de ce qui concernait ces anciens savoirs, nos mystiques de campagne, ce qu'on en expérimenterait les deux ans à venir. On se coordonnait, il n'y aurait pas de défection. On avait le même mépris pour l'état administratif du monde, et c'était une bonne farce à lui faire: une entité administrative unique, Pierre Douteau, et deux bonshommes pour y fournir, ou y échapper. On a passé des heures à construire le système. C'était pratique, on n'en revenait pas. Il nous semblait qu'on sortait tout armés de l'internat du lycée pour quarante ans de guerre civile toute prête, où l'un assurait la permanence tandis que l'autre partait au loin en voyage, et réciproquement l'année suivante. Ni lui ni moi d'ailleurs, les années suivantes, n'avons aimé voyager autrement que seul. On ne s'en est pas si mal tirés. Il a fallu quelques ajustements. Trois ans plus tard, Pierre Douteau est mort d'un accident de la route. On a gardé l'autre nom, François Bon.
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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 1er juin 2005
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