de cette chambre d’hôtel à Marseille
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ou un autreTumulte au hasard  : de se couper les cheveux

D'ailleurs ce n'est pas d'une chambre d'hôtel à Marseille qu'il s'agit mais de deux, et je devrais faire la liste des hébergements et couchages ville après ville en général mais Marseille en particulier, chambres prêtées, réveils de fortune, et donc ces deux chambres d'hôtel. La première est la plus décisive, encore que. Parce que c'était la première fois que moi, un type de l'ouest, j'abordais le sud en général et Marseille un monde complet ignorant la totalité des autres, hors peut-être ce vague culte pour ce qui touche à la Méditerranée, qu'elle semble boire à même son port visqueux, et la translation de vieux paquebots presque immobiles vers le Liban ou Suez ou pile en face la Corse et l'autre rive. Ça a changé depuis, le port se reconstruit, les bateaux sont plus lourds et plus modernes, mais trop de grèves ont déplacé l'élan moderne vers Barcelone ou Gênes, qui vivent : ici ça ne vit plus. Ça ne vivait déjà plus. Reste ce monde grouillant des petites rues étroites et hautes du vieux centre et leurs parfums d'Afrique, les entassements de bazar dans les boutiques toutes langues (cela aussi, ils ont nettoyé, enlevant souvent les parfums avec le reste : ces têtes d'agneaux grillant par vingt sur des broches avec d'énormes yeux opaques et gris dont on n'imaginait pas qu'ils puissent se croquer et pourtant), restent les immeubles hiératiques proliférant à même la roche à mesure qu'on traverse vers le nord, reste cette continuité des zones industrielles et rocades en allant vers l'aéroport, reste, reste... (comme ces chemins piétons surplombant la mer en gris ou parfaitement bleue selon sa légende, en s'éloignant vers les calanques et combien d'explication on y a eu). A l'époque on venait en train de nuit, on se réveillait embrumé pour découvrir la parfaite luminosité du sud sur l'étang de Berre et la fascination qu'ont toujours été pour moi les paysages industriels : je me souviens de l'apparition des raffineries dans la vitre du train. Et puis, et puis. Le reste ne regarde que moi. Cette journée dans un bâtiment de foire exposition, avec des bruits de haut-parleurs, des foules un peu ahuries : je ne me mêlerai pas longtemps de paraître dans des salons littéraires, puis bien sûr la rencontre, et qu'elle ne devait pas avoir de lendemain. C'est le lendemain soir pourtant que je devais seulement repartir, et moins de deux mois plus tard m'arranger pour revenir, nous nous écrivions déjà (elle a depuis déchiré tout cela). Donc cette chambre où j'avais été seul, et infiniment secoué, bien sûr c'est cela pour toute une vie, on ne revient pas sur le fait, on essaye de l'accepter, de le comprendre, quand bien même dans ce vague souvenir de chambre d'hôtel au centre de Marseille il est impossible de saisir les répercussions ultérieures. De ce hall poussiéreux et bruyant où j'avais passé le samedi je me souviens des travées mi abandonnées au soir, d'un concert de Little Bob Story (et j'ai depuis amitié persistante et indéfectible, un peu nostalgique, pour Little Bob qui lui ne s'en souvient probablement pas), de verres vidés donc avec lui Little Bob quand plus personne ne vidait alentour de verres, et qu'on nous convoie finalement vers l'hôtel, nous les artistes et invités. Le lendemain, j'ai dû reprendre mon poste derrière la pile de livres par mes propres moyens, je ne crois pas m'être aventuré dans la ville, le lendemain elle est revenue, elle qui ne le devait pas et tout a commencé de là. Ensuite j'ai vécu à Marseille. J'ai cherché cet hôtel toute une année, selon le souvenir que j'en avais. Même ensuite, longtemps, je l'ai cherché, sans jamais un indice qui m'affirme être sur la voie, ni jamais trouver de certitude et qu'importe. Pour le second c'était quoi, même pas deux ans plus tard quand tant et tant me semble s'être accumulé depuis ce retour, quelques semaines plus tard, et les points fixes du souvenir, quelque chose bleu avec des mouettes, un tag sur les escaliers de la gare Saint-Charles (les escaliers de la gare Saint-Charles sont évidemment la permanence et le premier symbole de Marseille) mais cette seconde fois mon train venait de Rome, c'est une certitude, il s'agit aussi d'un train de nuit et cette fois-là il n'y a pas les raffineries, probablement oui un café dans le bruit même de la gare et ses vitres surplombant la ville indifférente et grognante, Notre-Dame de la Garde en vigie de l'autre côté, et les bateaux rouillés en éternelle et si lente translation méditerranéenne : Rome n'est pas une ville de mer, Marseille évidemment si, comme Genova ou Napoli puisque cette année-là c'est ainsi, en terminologie ferroviaire italienne, que tout cela s'était transposé dans ma tête. On s'était vus l'après-midi ou pas, en tout cas on devait se rejoindre le lendemain. On avait tant traversé déjà, beaucoup traversé. Peut-être il n'y avait rien eu qu'attendre ce premier jour et que ce serait le second : personne ne me savait dans cette ville, personne au monde ne pouvait me savoir là et ce que j'y faisais, la ville même semblait tout entière hostile et muette ou réprobative au seul fait de ma présence, de cette incursion sans but qui la concerne, elle, la ville. J'ai donc pris un hôtel. Je ne saurais pas non plus l'identifier, mais je me souviens cependant avec précision de la rue ou du pâté de rues, je me souviens de l'escalier en bois avec ce tapis fuyant sous le pas, d'un couloir sombre sans doute au second étage, avec des décrochements et une bifurcation, et une chambre qui donnait sur un mur (j'écris cela aujourd'hui d'un hôtel où je ne serai qu'une nuit, et ma fenêtre ouverte, parce que c'est le matin, donne sur un mur). Dans la chambre voisine un couple avait fait l'amour, longtemps, sauvagement, recommençant. La cloison était mince. Il y avait les soupirs, il y avait ces râles tranquilles ou bien heurtant, il y a eu évidemment, et recommençante, la montée du plaisir, ces cris d'une fille, quand bien même retenus, ou justement parce que, et puis ces chuchotements dont je ne savais pas le sens mais qu'il n'est pas difficile de reconstituer, lorsque deux centimètres de plâtre vibrant vous en séparent. Ressortir et boire des bières ? Je n'en avais pas la force ou plutôt le courage. Je me souviens à certain moment d'avoir posé la main sur la cloison et qu'elle tremblait. Et le tambour que devient la tête, et ce qui y résonne de votre propre histoire, et ce qui vous a mené là. Dans la folie de cette nuit avoir même pu imaginer que c'était elle. Je suis descendu aux premières heures et j'ai été prendre un café plus bas, directement sur le port, dans le bistrot le plus cher de la ville, avec une terrasse et des serveurs en blanc ; je crois que je n'aurais pas tenu à voir leurs visages, aux deux de la chambre d'à côté. Et j'ai oublié l'hôtel.
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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 4 juin 2005
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