Lorsque son aînée, encore toute petite, prononça un semblant de mot ressemblant à maman pour la première fois, elle se demanda si l’autre avait pu lui aussi dire ce mot ? Qui appelait-il en tendant ses petites mains dans le vide ? Quand l’avait-il dit ? Où l’avait-il dit ? À qui ? Quand sa fille fit ses premiers pas ? Elle pensa à lui. Bien avant, dès qu’elle donna son premier biberon à sa petite, c’est à lui qu’elle pensait. Quand elle tenait sa fille serrée contre son sein, elle pensait à lui. Quand elle l’embrassait, la caressait, la changeait, elle pensait à l’autre petit qu’elle n’avait pas chéri. C’est peut-être pour cela que ses gestes d’amour n’ont jamais pris leur envol avec sa grande. Le premier n’avait jamais quitté ses pensées, il était revenu si fort avec cette naissance. Aujourd’hui encore, alors que sa fille a plus de 45 ans, elle s’empêche. Elle ne parvient pas à la spontanéité qu’elle manifeste envers la cadette. Elle ne peut pas. Elle n’y peut rien. Elle a le sentiment d’une telle trahison.
Il comprend désormais certains regards de son père, certains gestes de sa mère en réaction à des remarques enfantines qu’il avait eues. Il n’y avait pas prêté attention jusqu’à présent. Maintenant que ses pensées tournent en boucle autour de cette annonce malvenue, de cette annonce qu’il n’aurait jamais voulu entendre, des détails anodins prennent une importance inattendue « Pourquoi mes cheveux sont-ils bouclés ? Pourquoi tu prends plus de coups de soleil que moi ? ». J’avais bien remarqué qu’on ne se ressemblait pas, j’avais mis cela sur le dos d’une génétique capricieuse.
Se demande-t-elle ce que je suis devenu ? Dis-moi toi qui n’a pas de visage, penses-tu à moi de temps en temps ? Te demandes-tu ce que je suis devenu maintenant que je suis un homme ? Où es-tu aujourd’hui ? Quelle a été ta vie ? As-tu eu d’autres enfants après moi ? Je n’ai pas d’amertume, je suis juste assommé par la nouvelle. Je ne sais pas encore si je vais aller à ta recherche.