L’effet du passé simple, la jouissance à l’employer, le conjuguer, le prononcer lui, passé simple en le faisant rouler avec la langue contre les dents, le suçoter, le caressant de chaque gencive, à l’intérieur des joues, là où c’est tendre et mou à manger, et parfois dans le rêve qui tourne au cauchemar la bouche le mord cet intérieur tendre. Qui peut vraiment se targuer de l’avoir connu, de l’avoir eu pour lui le vivre, un passé simple, qui en a, aucun écrivain, aucune écrivaine, à chacune sa faille, là où les dents en tenaille ont attaqué la gencive de la joue comme ne plus connaître les limites de son corps, dévorer ce qui est soi, comme automutilation qui reste invisible à l’œil nu, indétectable par autrui, et pourtant il écrit, et pourtant elle écrit, comme cogne encore et encore la tête du nourrisson emmailloté serré qui rebondit on ne sait trop sur quoi, ce bruit répétitif qu’on porte en soi, dicte le rythme des phrases. Elle écrivit sous sa dictée. L’écriture la tenait en laisse comme on remorque à la suite un enfant récalcitrant. Elle suivit. Tout arrêt aurait provoqué le rebond de sa tête contre le sable que la mer avait laissé dur. Elle se glissa à sa suite dans une soumission qui lui sembla être la solution la moins douloureuse au final.
Quel écrivain a eu un passé simple. Elle dit le passé simple est cette armure traversée d’âmes il rend invulnérable à soi. Elle dit : nous est l’autre nom.
Elle retint « armure », elle en avait bien besoin. Elle s’empara du « nous » qui lui aussi constitue une armure protectrice, une illusion de marcher à plusieurs et à plusieurs, on a moins peur. Par une attraction inexpliquée, Nous s’en alla fusionner avec « traversée d’âmes » pour constituer « Nous allâmes ». Elle prit le Nous pour écrire comme d’autres prennent le voile. Une consécration. Nous allâmes, Nous écrivîmes et la lumière fut. Nous vîmes.
le texte en relief est de Nathalie Holt.
A propos de Anne Dejardin
Projet en cours "Le nom qu'on leur a donné..." Résidences secondaires d'une station balnéaire de la Manche. Sur le blog L'impermanence des traces : https://annedejardin.com. Né ici à partir du cycle«Photographies». Et les prolongations avec un texte pour chaque nom qui dévoile un bout de leur histoire. Avec audios et vidéos, parce que des auteurs ou comédiens ont accepté de lire ces textes, l'énergie que donnent leurs voix. Merci.
Voir aussi sur Youtube.
6 commentaires à propos de “#Boost #11bis bis | Passé simple et nourrisson.”
Lu avec le sourire à cette question de la simplicité du passé de l’écrivain. Un fragment de Nathalie Holt que tu déroules dans un rayon de lumière. Belle expérience.
Merci de ta lecture, Jean-Luc. Pour le sourire aussi. 🙂 Dérouler un fragment de texte dans un rayon de lumière, quelle jolie phrase. Merci.
« comme cogne encore et encore la tête du nourrisson emmailloté serré qui rebondit on ne sait trop sur quoi, ce bruit répétitif qu’on porte en soi, dicte le rythme des phrases. » j’ai pensé un moment aller vers cette image de ta 11 pour ma 11bis et j’ai eu peur elle me secoue comme toutes ces morsures que tu fais si bien tourner dans nos bouches pas-si- simples. Merci pour la lumière finale ( malgré le voile et avec lui)
« Faire tourner ces morsures dans nos bouches par-si-simples », Merci, Nathalie pour cette phrase. On pourrait continuer un texte avec vos phrases commentaires. 🙂 Et rebondir indéfiniment.
j’ai énormément aimé cette succion du passé simple, mastication, dévoration et « automutilation qui reste invisible à l’œil nu, indétectable par autrui »… fort ! merci Anne
Merci, Muriel. Je ne te trouve ni dans le pdf #10 ni dans les textes publiés ici. Au plaisir de te lire encore. Et merci, parfois on peut se demander si on ne va pas trop loin… emporté par l’écriture, l’écriture depuis « Aller ». Merci.
Lu avec le sourire à cette question de la simplicité du passé de l’écrivain. Un fragment de Nathalie Holt que tu déroules dans un rayon de lumière. Belle expérience.
Merci de ta lecture, Jean-Luc. Pour le sourire aussi. 🙂 Dérouler un fragment de texte dans un rayon de lumière, quelle jolie phrase. Merci.
« comme cogne encore et encore la tête du nourrisson emmailloté serré qui rebondit on ne sait trop sur quoi, ce bruit répétitif qu’on porte en soi, dicte le rythme des phrases. » j’ai pensé un moment aller vers cette image de ta 11 pour ma 11bis et j’ai eu peur elle me secoue comme toutes ces morsures que tu fais si bien tourner dans nos bouches pas-si- simples. Merci pour la lumière finale ( malgré le voile et avec lui)
« Faire tourner ces morsures dans nos bouches par-si-simples », Merci, Nathalie pour cette phrase. On pourrait continuer un texte avec vos phrases commentaires. 🙂 Et rebondir indéfiniment.
j’ai énormément aimé cette succion du passé simple, mastication, dévoration et « automutilation qui reste invisible à l’œil nu, indétectable par autrui »… fort ! merci Anne
Merci, Muriel. Je ne te trouve ni dans le pdf #10 ni dans les textes publiés ici. Au plaisir de te lire encore. Et merci, parfois on peut se demander si on ne va pas trop loin… emporté par l’écriture, l’écriture depuis « Aller ». Merci.