Codicille : ce que l’imagination doit à notre histoire…
Que j’eus perdu ses yeux en spirales, au fond desquels je cherchai ma route, dans cette boue du bout de la nuit… cette nuit eut-elle un bout que je pus atteindre, si nos mains siamoises avaient pu l’ourler, comme on coud un rideau, trop lent, qui se lèverait sur la prochaine scène nocturne…
Il n’y eut plus de jours, après que nous les eûmes rendus au marchand de rêves. Nous les déposâmes un matin sans matin, pliés dans une boîte d’osier, entre un cri d’alouette et un soupir de lampe.
Nous marchâmes alors, à travers les arbres devenus tordus par le vent des histoires. Le sol suintait. À chaque pas, des bulles remontaient, pleines de souvenirs qu’aucune bouche ne voulait plus avaler. Il y avait là, dans la vase, un collier de dents de lait et une montre arrêtée à 3h13. Nous passâmes sans parler.
Des oiseaux nous suivirent, muets. Ils portaient des plumes comme des lettres jamais envoyées. L’un d’eux, au bec d’argent, nous chanta une chanson qu’il ne termina pas.
Une silhouette s’éleva du marais, je la vis alors, assise sur un rocher mou, la fille de brume et de morceaux oubliés. Haute comme un homme aux yeux qui jamais ne clignaient mais sans visage elle portait les noms perdus. Elle nous salua sans sourire. Elle nous donna chacun un mot. Le mien était cristal. Le sien était cendre. Elle dit qu’il fallait les garder sous la langue, jusqu’au dernier battement. Puis sa voix s’enroula autour des arbres et glissa dans les nerfs.
Puis le ciel se froissa comme une page trop lue. Le silence se leva comme une marée lente.
Était-ce un conte, un piège, Une histoire vivante et affamée ?
Et dans cette nuit sans rideau, je crus encore voir ses yeux, spirales effacées, me tirer vers le creux, là où finit le langage, là où commence ce qu’on ne raconte pas.