Myrha
Je le sais moi, que c’est une deuxième lune. Ivan dit que non, que ça ne peut pas être une deuxième lune, que la lune c’est le nom qu’on donne à un astre et que le nom est déjà pris mais moi je le sais que c’est une deuxième lune. Je sais des choses qu’Ivan ne comprend pas, comme le fait que deux choses peuvent avoir le même nom. L’un avec la lumière et l’autre avec l’ombre. Et aussi je suis sûre que la lune nous éclaire. En tout cas elle m’éclaire moi. Pour pas que je me prenne les cailloux et les branches au sol parce que je suis pieds nus parce que j’ai laissé mes chaussures à la maison comme on s’est sauvé en secret par la fenêtre. J’ai mal au ventre aussi, je sais pas si je dois le dire à Ivan. Il va dire que je dois rentrer à la maison, il va dire que j’ai peur alors que c’est lui le froussard avec son bâton pour se battre avec des ombres. Je crois que c’est le truc dans mes jambes qui me fait peur. Non, j’ai pas peur. Mais ça me fait bizarre. Je sens que y a un truc tout chaud qui glisse dans mes cuisses. Au début j’ai cru que j’avais marché sur quelque chose parce que j’ai senti des gouttes sur mes mollets mais non ça part de mes cuisses. Ivan il s’avance vers les arbres alors discrètement, faut que je passe ma main sous ma robe. C’est mouillé. Ça colle. Avec la lumière de la deuxième lune, c’est rouge. Je sais pas pourquoi mais j’ai mis le liquide rouge dans ma bouche. Ca a le goût de fer, un peu. Comme quand on se coupe le doigt.
C’est mon sang.
Mon vrai sang. Pas une blessure, pas un bobo. C’était… autre chose. C’était les “premiers sangs”. Les premières lunes. Ici, avec Ivan. Avec la lune.
C’est un truc à moi.
Je tire sur ma robe.
Ivan
Je regarde au ciel pour voir ce truc qu’elle appelle la deuxième lune mais ça me donne le vertige toutes les cimes d’arbres. Oui, il y a bien quelque chose dans le ciel. Comme au bord du ciel. Mais c’est pas une deuxième lune. La lune, elle existe déjà. C’est important les mots. Ça tient le monde en place. C’est un… un pas-lune. Le pas-lune. Après, c’est vrai, j’ai l’impression que le pas-lune nous éclaire, qu’il brille là où on met les pieds pour pas se prendre les bris de bouteilles et c’est bizarre comme sensation mais je ne lui dirais pas parce qu’elle va encore dire qu’elle a raison et partir dans ses histoires de sorcière à la Baba Yaga et moi j’ai des choses à penser. J’ai vu tout à l’heure… J’ai vu qu’elle se tenait le ventre et qu’elle faisait des efforts pour suivre et j’ai fait semblant de chercher un bâton pour ralentir mais elle s’est moquée de moi. A la lumière du pas-lune, j’ai vu qu’elle avait du rouge sur ses jambes. J’ai rien dit parce que je veux pas la vexer. Puis parce que je sais pas quoi dire. Je crois que j’ai compris. Un peu. Je sais pas si ça peut attirer des ombres qui sont dans la forêt alors je vais voir sur le bord du chemin. Aussi pour qu’elle voit pas que je rougis. Si Papy Joseph nous attrape, je vais me prendre une de ces dérouillés. Je crois que j’ai moins peur des ombres dans la forêt que de Papy Joseph.
La deuxième Lune
Je ne suis pas la lune.
Je le sais bien. La lune est arrivée bien avant moi. Elle est là, la nuit, le jour, elle tire les marées. Moi je n’apparais que lorsqu’on peut me voir. Ce n’est pas mon ciel. Pas tout à fait.
Ils m’ont regardée. Elle m’a vue.
Je ne pensais pas voir des enfants.
Je pensais voir le Vent.
La fille s’arrête.
Le rouge est venu. Pas celui des blessures. Un autre rouge. Plus ancien. Celui qui dit : ça commence.
J’éclaire juste assez pour qu’elle voie. Pour qu’elle comprenne. Pour qu’elle se souvienne.
Peut-être ce soir ne suis-je pas là pour le Ciel mais pour elle. Qui m’a appelé ? Qui me nomme ?