RECTO
1
Les vitrines présentent, côté gauche, un joyeux pêle-mêle de friandises colorées et côté droit un empilement blanc et or savamment ordonné de dragées, coupes, cornets, aumônières et sachets.
Les portes d’entrée, vitrées, restent ouvertes vers l’intérieur ; le client franchit un rideau d’air rafraichissant et se retrouve au milieu des vitrines, dans l’air embaumé du parfum du chocolat.
A droite, une première vitrine, toute en longueur, propose des chocolats alignés et rangés par formes : tuiles, buchettes, sarment, bouchées, rochers, pavés… et par couleurs : noir, marron, caramel, blanc… tout au bout, vers la rue, se trouvent calissons, massepains, bonbons en sucre, aux couleurs pastels, tous glacés ou givrés. Il y a aussi un plateau de petits pavés gris, glacés, bien alignés, dont on se demande quel peut bien en être le goût.
A l’angle de cette vitrine, près des chocolats, une autre vitrine, toute en hauteur et toute en verre, elle aussi. Y sont rangées par taille les boites rouges de macarons, la spécialité de la maison, enveloppés dans leur papier doré. A gauche de la porte, une table ronde, de verre elle aussi, présente des sucettes et des mignardises, des petits paniers colorés à offrir aux enfants, juste à portée de leurs petites mains. Au mur derrière, des sachets de cellophane emplis de chocolats, soigneusement étiquetés et bien rangés dans de petites niches de verre.
Au fond, sous un puits de lumière, une cliente regarde les bonbonnes en verre de dragées de toutes espèces et couleurs. En face, sur des étagères de verre, un assortiment de produits régionaux : pâtés et conserves en gelée dans leurs bocaux de verre, limonades déclinées en bouteilles de verre de différentes tailles.
Sur le comptoir, une rangée de petites cloches de verre abritent des tablettes de chocolat, et de grands cylindres de verre proposent, en achat de dernière minute, macarons et chocolats vendus à la pièce. Près du terminal de paiement, une carte bancaire en chocolat, sous un globe de verre.
2
La place est une sorte d’atrium, une galerie carrée de plaques de verre, transparent ou vert bouteille, encastrées dans un quadrilatère de barres métalliques horizontales supportées par des troncs de métal gris. L’air surchauffé est comme comprimé entre ces dalles de verre et les dalles minérales du sol, d’un gris noir, terne et sale.
Au centre de la place, sous le carré d’air libre dessiné par la galerie de verre et de métal, un impluvium, incliné sur l’un des quatre côtés, surface accidentée d’escaliers et de marches sournoises qui guettent la cheville des voyageuses inattentives, si elles s’égarent dans ce vaste trou de pierre.
Face au plan incliné, surmontant l’accès au niveau inférieur de la gare, un rebord de plastique vert d’une propreté douteuse, à moins que la teinte verdâtre ne soit le résultat de la décoloration due aux intempéries et au temps. Si l’on ose s’y appuyer, on accède à une vue en plongée de l’atrium. Dans une tentative de naturalisation pour contrebalancer le minéral, quelques arbres ont été placés presqu’en son centre dans des bacs de pierre. Ils ont poussé vers le ciel, mais leur feuillage roussi indique que la plupart sont en train de mourir.
Cet espace est vide. Peu s’y sont aventurés, à l’exception des skateurs, que les autorités ont très vite envoyé jouer ailleurs.
3
A l’entrée du hall de la gare, devant la porte coulissante, quatre policiers carapaçonnés de bleu marine et de gilets pare-balles campent debout, jambes écartées, empiètent un peu sur le passage des voyageurs. Ceux qui passent outre pénètrent dans un espace assez vaste, mais que l’on semble s’être acharné à vider.
A droite, le point de vente Relay, désormais l’unique boutique, propose livres, revues, viennoiseries, boissons et café.
Au centre, regroupés dans un carré matérialisé par un sol de plastique rouge, des sièges vissés au sol miment une salle d’attente. Les machines à vendre les billets sont alignées en sentinelles jaunes des deux côtés du hall.
A gauche, derrière de hautes parois vitrées, le guichet, seul lieu où il est encore possible d’acheter billets et cartes d’abonnement à des êtres humains, leur demander un renseignement ou déposer une réclamation. On y accède par une double porte vitrée qu’il faut pousser. Il y fait frais, l’intérieur étant climatisé. Un long comptoir de bois et de métal coupe la pièce dans sa longueur. Au-delà, c’est l’espace des agents de la SNCF, en deçà, celui des usagers. Ils patientent, alignés en un long serpent qui ondule entre des sangles. Lorsque l’un des trois guichets ouverts sur les cinq se libère, le premier de la file s’y dirige. Le guichet est une sorte de demi-lune de métal noir, côté client. L’agent, distant d’un bon demi-mètre, est assis au milieu d’écrans, de claviers et d’imprimantes. Derrière lui, une étagère couverte de papiers et d’imprimés court le long du mur.
Dans le fond du hall, d’autres sièges en métal, vissés au sol eux aussi, entre deux armoires distributeurs de boissons. Derrière les parois vitrées, un promenoir vitré et incurvé, tout en béton, donne accès aux escaliers qui mènent aux quais. Des fauteuils de bois et de métal, des palmiers et des arbres en plastique disposés dans des pots à intervalles réguliers lui donnent un faux air de petite Promenade des Anglais.
Accrochés au plafond du hall et du couloir, les panneaux électroniques, fond vert pour les arrivées, bleu pour les départs, clignotent et annoncent les retards, de plus en plus nombreux et de plus en plus importants.
VERSO
La voyageuse vient de constater que son train, le 18h24, est annoncé avec vingt-cinq minutes de retard ; elle entre dans l’espace des guichets, espérant y trouver un imprimé avec des horaires qui lui permettraient de savoir si elle ne gagnerait pas à prendre l’autre train, celui de 18h04, lui aussi annoncé avec le même retard. Mais les présentoirs de métal accrochés aux murs ne proposent que des dépliants indiquant les destinations touristiques de la région, ou bien les différentes formules d’abonnements et de cartes voyageurs. La file d’attente est trop longue pour aller se renseigner. ; heureusement un banc de bois, recouvert de similicuir orange, placé à l’extrémité de la file lui permet de s’asseoir, face au panneau des départs. Elle consulte l’application SNCF : le 18h04 est un omnibus, qui arrivera après le 18h24, même si celui-ci part avec trois quarts d’heure de retard. Il fait frais, elle est assise assez confortablement, autant attendre là !
Devant elle, sur sa gauche, un homme est arrivé au dernier guichet. Il semble assez énervé. L’agente SNCF, debout, brandit dans sa main droite ce qui de loin ressemble à un ticket de caisse, avec tout en haut un QR code. La voyageuse entend mal leur échange, elle est à plus de deux mètres et le bruit ambiant l’empêche de bien distinguer ce que dit l’homme, qui lui tourne le dos. Grand, noir, vêtu d’une chemise de lin blanc, il a posé son attaché-case à ses pieds et s’exprime avec un fort accent africain, peut-être malien. En face, l’agente, une fille d’une vingtaine d’années, petite et brune, répète les mêmes mots : « dématérialisé », « par mail », « QR code » à chaque demande de l’homme. La voyageuse finit par comprendre que l’homme a acheté un abonnement, mais ne trouve aucune trace de son achat. L’agente, qui a elle aussi un fort accent, peut-être maghrébin, répète « par mail ». Elle ne lui propose pas de regarder avec lui son courriel électronique, ni ne lui conseille de consulter ses spams. Le ton monte. Elle lui reproche de se montrer agressif. L’homme répond que ce n’est pas à elle qu’il s’en prend, mais aux services de la SNCF. La voyageuse se demande s’ils se comprennent bien l’un l’autre, peut-être y a-t-il entre eux un malentendu ? après tout, ils ne parlent peut-être pas bien le français, ni l’un ni l’autre. Non, non, c’est juste une question d’accent. Ne devrait-elle pas intervenir ? Elle choisit de n’en rien faire, de peur d’envenimer les choses. L’agente, elle, est revenue aux mêmes phrases, celles où il est question d’ « abonnement dématérialisé », de « mail » (elle accentue particulièrement ce mot) et de « QR code ». De guerre lasse, l’homme ramasse sa pochette et s’en va, en la remerciant de son aide, qu’il n’a pas obtenue, et en hochant la tête, excédé.
Elle a un superbe potentiel cette histoire d’accent…
Ah oui! Les accents et aussi (peut-être) les mots qui n’ont pas tout à fait le même sens pour ces deux interlocuteurs…
Très belles description de cette boutique de luxe de gourmandises. Elle met l’eau à la bouche. Beaucoup aimé la scène devant le guichet SNCF, tellement vraie.