rectoverso #02 | dietrich

RECTO

à ce stade de la nuit seule la lueur du téléphone me guide. Ne pas éclairer fort pour ne pas réveiller. Il fait assez clair, le projecteur, assez loin, mis là pour surprendre les bandits des grands chemins illumine le petit passage et tout le paysage. Pour ne pas que ces bandits se cachent, on a coupé le bel arbre qui était là. Bandits ?

à ce stade de la vie, de ne plus pouvoir marcher, je rêve de renaissance, d’un traficouillage miracle de la colonne vertébrale qui va tout changer. Je vais marcher, courir après le bus, redevenir le moi que mes jambes lourdes ont laissé en route. Je voulais faire quoi quand j’étais petit ?

à ce stade de l’ennui beaucoup de ce qui me passionnait il y a peu ne me fait plus envie. Ce que j’entends de l’état du monde me sidère et m’empêche de le penser avec mes anciennes idées. Je sens qu’il faut changer de logiciel en ne reniant pas mes convictions. Tu m’expliques comment on fait pour trouver de nouvelles envies, j’ai dû oublier le désir.

à ce stade de l’oubli, la maison est pleine de fantômes qui sortent des murs avec seul souci de me rappeler gestes malencontreux et situations gênantes. Ils se faufilent entre tous les dreamcatchers que j’avais installés suivant le conseil du chaman qui m’avait promis de passer chaque mois pour les nettoyer et ne garder que les doux rêves. Je ne l’ai jamais revu.

à ce stade de la pluie, le jardin, soulagé de tant de chaleur et d’évaporation, sourit.

à ce stade de l’envie je regarde une étiquette calligraphiée sur une petite boite en bois léger. Sous l’étiquette : Pour B. Il se pourrait que ce soit là qu’atterrissent les rêves non réalisés en attente d’un·e douxce propriétaire. La prochaine fois, j’enlève le haut (de la boite).

VERSO

Un écrivain et un journaliste emprisonnés. Je lis qu’à l’origine, il y a peut-être le Sahara affublé de l’adjectif occidental. Un conflit historique, une prise de position récente ir(mal)réfléchie, un peu de décolonial et hop : des emprisonnements pour régler des comptes, pour voir ce que ça va donner. Tenter de sortir de la polémique c’est y entrer pour de bon : Sahara, je vois les dernières images de Morocco (Josef Von Sternberg, 1930), le désert qui commence à la limite précise du village, juste derrière la porte en arabesque. Marlene Dietrich enlève ses escarpins à talons pour marcher dans le sable et rejoindre les femmes berbères qui suivent la troupe de son Gary Cooper de légionnaire. En tailleur presque Chanel, elle attrape une chèvre par les cornes, le vent souffle et soulève le sable, c’est vraiment le désert. Le mot End apparait pour nous faire croire que c’est fini alors qu’on comprend bien que, justement c’est infini et que le désert ne s’arrêtera pas là. C’est une des plus belles scènes de cinéma et il me semble que je ne l’ai vue qu’une fois dans une salle de la rue Christine, je revenais d’Algérie, j’arrivais à Paris, pas hier. Je viens de la revoir pour être sûr de ne pas être entrain de réinventer le film.

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.

2 commentaires à propos de “rectoverso #02 | dietrich”

  1. J’aime beaucoup les incipits et les phrases qui ponctuent la fin de chaque paragraphe, et comment tu nous entraînes par divers chemins à regarder le monde – et le désert aussi. Je n’ai plus qu’une envie, courir voir Morocco.

  2. Merci Laure. Ah ! la dernière scène de Morocco, presque plus belle que celle avec la même Dietrich astiquant la lame du sabre dans Agent X27 (du même Von Sternberg). Bonne journée.