Recto
à ce stade de la nuit après m’être couchée tôt, je me réveille en sursaut, en sueur, éberluée, je ne sais plus si le silence vient de l’extérieur ou de moi
à ce stade de la nuit elle entend des bruits bizarres sur le palier elle se lève pour vérifier si la porte est bien fermée, elle ouvre le frigidaire se sert un grand verre d’eau fraiche, elle hésite à manger une banane, elle retourne se coucher
à ce stade de la nuit les souvenirs affluent, refluent, se bousculent, « s’invitent sans prévenir » comme dirait sa grand-mère, comme « des chiens errants flairent la douleur » comme dirait son grand-père. Non, elle ne regrette pas la séparation d’avec son compagnon, c’est mieux comme ça. C’est bien de retrouver sa tranquillité mais elle est triste et la peine lui pèse. Au delà de cette rupture, pour la première fois de sa vie elle appréhende pleinement la fin, la finitude, le non retour, la mort. Comme avaler l’océan.
à ce stade de la nuit on pourrait croire que le monde dort mais j’entends encore la ville respirer derrière ses paupières, la circulation vrombir par la fenêtre ouverte, un moustique virevolter près de mon oreille, et cette foutue grille d’entrée, toujours mal réglée, grincer et couiner par intermittence. Un chien aboie au loin.
à ce stade de la nuit il n’y a plus de place pour les mensonges – juste la vérité nue, bancale qui claque dans le vide
à ce stade de la nuit, je pense à toi.
à ce stade de la nuit même les croyants et les croyantes se demandent si ils et elles sont vraiment entendu.e.s
à ce stade de la nuit elle continue à marcher sans but, à errer solitaire, dans la ville obscure et silencieuse, juste pour ne pas revenir où elle était
à ce stade de la nuit est-ce que les détenus du bâtiment 5 à Fleury Mérogis dorment au frais, détendus, tranquilles, confiants, apaisés ?
Verso
Avec mon amie Anne on se donne rendez-vous, mercredi à 10h20, à la station Philippe Auguste, à l’avant du quai de la ligne 2, direction Nation où nous ferons un changement pour prendre la ligne 1 direction la Défense et nous descendrons à la station Sablons. Ce matin là, il fait beau, déjà chaud, nous choisissons de parcourir la dernière partie du trajet à pied, la balade est agréable nous suivons l’Allée de Longchamp qui mène directement au bois de Boulogne, nous marchons environ 15 minutes (1 km). A l’arrivée, je suis à nouveau impressionnée par l’architecture du bâtiment qui fait penser à un paquebot, à un vaisseau mais tout en légèreté, en transparence, en fragilité. Nous somme pile à l’heure indiquée sur les billets qu’Anne avait achetés il y a un mois (oui, aujourd’hui il est rare de pouvoir aller voir une expo sans devoir réserver en amont, par internet ou par téléphone) Ce mercredi nous sommes donc à l’heure même un peu en avance. Le premier agent de service qui regarde l’intérieur de nos sacs, nous indique de nous mettre dans la file du milieu, on approche et on s’aperçoit que la file du milieu est la plus longue, et en plein soleil. Au fond de moi je me décourage : attendre sous le cagnard, on va rôtir et à l’intérieur on sera les uns sur les autres ce sera insupportable, je ne vais pas réussir à me concentrer, à créer un lien avec les œuvres. En fait, tout se passe bien ! Merveilleusement. L’exposition est magique. Une plongée totale dans l’art d’Hockney. Energie, explosion de couleurs, vivacité, jeunesse. 400 œuvres. Houahou ! Splash !!
« je ne sais plus si le silence vient de l’extérieur ou de moi » / « j’entends encore la ville respirer derrière ses paupières » / « à ce stade de la nuit, je pense à toi »…j’aime beaucoup ce recto, et tout particulièrement ces bribes. Merci Cécile !