Recto
Il y a des pétales de coquelicot ressemblant à des petites lèvres, fragiles, froissés rouges comme un aveu muet
Il y a des baisers qui n’ont jamais trouvé de bouche, ils errent orphelins
Il y a des miroirs qui reflètent l’attente
Il y a des mains pleines de promesses non tenues
Il y a des aiguilles qui tournent dans des montres arrêtées
Il y a de l’orage dans l’air et des nuages dans les flaques d’eau
Il y a des visages perdus au fond des tasses de café quand le matin s’éternise
Il y a des rires suspendus aux branches de l’enfance et des mots qui dansent dans les chambres vides
Il y a des fenêtres qui donnent sur le mur des lamentations
Il y a des lettres jamais postées qui brûlent les tiroirs elles sentent l’encre sèche et le feu des mots jamais offerts
Il y a des larmes brillantes au coin des sourires et des voix restées coincées dans la gorge du temps se cognant aux parois de l’oubli
Il y a les parfums revenant avant les souvenirs
Il y a des départs qui ne laissent pas de traces de pas, juste le vide après le bruit de la porte quand l’odeur du dernier serment s’attarde sur les murs
Et aussi Il y a des chaussettes célibataires, elles pleurent dans les placards en attendant celles aspirées par les vidanges
Il y a des parapluies qui rêvent d’être des hélices
Il y a des cactus amoureux qui offrent des piqûres de tendresse
Il y a des pigeons syndiqués réunis sur le fil téléphonique, ils refusent de marcher dans la boue
Il y a des poils de chat sur mes vêtements
Il y a des oranges jalouses des clémentines
Il y a des escargots partis en vacances avant tout le monde
Il y a les rêves embêtés par la sonnerie des réveils
Il y a des cafetières qui chantent du jazz en secret et improvisent à la vapeur
Il y a des rideaux qui font la sieste au soleil.
Il y a des agendas vides de jours
Il y a des biscuits complotistes dans les placards, ils chuchotent à la cannelle la préparation d’une évasion sucrée
Il y a des lunettes de soleil persuadées d’être des stars elles posent seules sur la table l’air mystérieux
Il y a des boutons de chemise qui tombent amoureux sans prévenir d’une autre chemise
Il y a des livres de cuisine qui n’ont jamais vu une cuillère
Il y a des fourmis qui organisent des soirées karaoké dans les murs, elles chantent à minuit pile, dans des micros de miettes. Une reine siffle « Besame Mucho » entre deux grains de riz
Il y a des murs qui rougissent quand on les regarde trop longtemps
Il y a des mots croisés qui veulent devenir poètes
Il y a des ombres qui changent de forme pour rire un peu
Verso
Oui, elle s’est réveillée à six heures ; le corps s’obstine quand la raison voudrait dormir. Oui, elle a chanté en lavant les verres, une mélodie à peine un filet de voix, pour couvrir le vide le bruit du rien. Oui, elle a rangé les assiettes par ordre décroissant. Oui, elle a sorti les poubelles, c’était jeudi, le jeudi, on sort les sacs et même s’il n’y a presque rien dedans. Oui, elle a pris le parapluie il ne pleuvait pas, non mais ce genre de ciel donne l’impression que quelque chose va tomber, pas forcément la pluie. Oui, elle a acheté des fleurs pour mettre un peu de couleur dans la pièce parce que le gris s’installe vite quand on le laisse faire. Oui, elle a attendu pas longtemps, juste assez pour que l’attente commence à ressembler à un manque. Oui, elle l’a dit : elle viendrait parce que c’était plus simple que d’expliquer pourquoi pas. Oui, elle a reposé la tasse tout doucement comme si le silence pouvait se briser d’un geste brusque. Oui, elle a refermé le tiroir il n’était pas vraiment ouvert, juste un peu pour fermer quelque chose. Oui, la lampe a clignoté toute la nuit, une lumière hésitante une lumière qui ne sait pas si elle reste ou si elle s’éteint. Oui, elle a noté la date sur un post-it jaune, était-ce inutile ou nécessaire elle n’en sait rien. Oui, la nappe était repassée pour un dîner sans importance ou justement pour ça, pour sauver un peu de tenue dans le désordre des jours. Oui, elle a tiré la porte, presque assez pour qu’on ne sache pas si c’était une invitation ou un repli. Oui, le chat a miaulé trois fois pour dire qu’il était là, pour rappeler qu’il compte aussi, dans le décor. Oui, le pain était tiède parce qu’il avait été attendu comme elle et tout le reste. Oui, le ticket est tombé du portefeuille il datait d’un jour quelconque il disait quelque chose, Oui, la radio parlait toute seule avec personne pour écouter, elle avait besoin qu’on dise quelque chose. Oui, elle a souri en refermant le livre, une phrase l’avait frôlée, une main familière. Oui, elle a tourné deux fois la clé, un réflexe un geste d’assurance, de la peur, une habitude qui protège. Oui, elle a poussé le tiroir, on ne sait jamais ce qui peut sortir d’un tiroir mal clos. Oui ils ont dit oui.
..Lu avant de plonger tête baissée dans des activités fort rigides, fort tendues, fort belliqueuses… alors grand merci pour ce souffle poétique à donner des frissons aux dossiers qui m’attendent… grand merci pour la sensualité des mots à fleur de peau, sucré salé. Et vive les biscuits complotistes!
Eve merci d’avoir pris le temps d’une récréation peut-être…
tout cet univers qui se déploie dans tes « il y a », un univers feutré et parfumé que je reconnais bien, ces parfums là qui viennent avant le souvenir !
il fait bon de te retrouver, Raymonde
Merci Françoise pour ces retrouvailles à la croisée des chemins de nos voyages singuliers, l’été s’y prête surtout dans ton royaume…
l’aveu muet des pétales de coquelicot j’adore
Merci pour eux o;))
Une longue poésie qui laisse comme une sensation d’atmosphère feutrée, délicate, presqu’ une toile, une scène de genre immortalisée par les mots.
Merci Raymonde et merci également de ta lecture
Valérie merci, oui on lit au hasard quelques textes et ça nous touche comme une magie inattendue vous ne trouvez pas…