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le personnage & ses morts, Gaëlle Obliégly
Un recto: fabrique d’un personnage fictif, depuis son métier, ses occupations sociales et privées. Un personnage surgit de rien d’autre que ces images fixes de la vie anonyme. Un verso: ce personnage, comme tout un chacun et nous tous, est hanté part ses morts, parle, rêve de ses morts, les craint ou les convoque, leur parle. Saut rude ? Oui, mais c’est ça la fiction.
On a récemment travaillé, dans notre cycle «vers une écopoétique», depuis le très singulier Sans valeur, de Gaëlle Obiégly. Je propose aujourd’hui de revenir à ses deux livres précédents, très parents, dans la démarche, son N’être personne (Verticales, 2017) et surtout Totalement inconnu (Bourgois, 2020).
Maintenir la référence à N’être personne pour s’imposer comme une dissolution du soi auteur: se retirer de la médiation narrateur/texte (je garde par commodité masculin générique), et se consacrer tout entier à la notion de fiction.
C’est grâce à cette médiation dissoute, donc ce «n’être personne», que le livre Totalement inconnu (ni l’un ni l’autre, et il s’agit de livres conséquents, plus de 200 pages compactes chacun, ne porte l’indication roman), va pouvoir être dit à la première personne et au présent par sa narratrice, le personnage fictif qui va porter entièrement le livre.
De la même façon, grâce à cette médiation dissoute du «n’être personne» qu’on va retrouver dans la vie intérieure du personnage fictif l’obsession pour la lecture écriture, et surtout, dans l’intérieur de cette opiniâtreté, la confrontation du personnage aux questions de l’écriture.
De notre côté, ce n’est pas ce versant-là qui servira d’appui à notre double approche, recto et verso, de façon encore plus organiquement liée que dans les précédentes propositions de ce cycle.
RECTO : se supprimer comme auteur (ou plutôt: s’interdire toute expression de l’auteur dans le texte), c’est s’en remettre «totalement» au personnage fictif qui le porte. Gaëlle Obiégly nous propose un personnage féminin qui se définit comme «hôtesse d’accueil», ailleurs comme «réceptionniste», qu’on découvrira aussi à la caisse d’un Carrefour, dans différentes phases de ses changements d’emploi, de ses apprentissages, de sa vie urbaine ou privée (cérémonies, repas, sorties).
Et donc notre RECTO: définir, pour chacune et chacun d’entre nous, un personnage anonyme (toujours en prenant au sérieux ce titre «totalement inconnu») depuis ses fonctions sociales et ce qui les accompagne. Le métier, le parcours, les habitudes et usages, les rituels. Petite note supplémentaire: le personnage fictif s’exprimant au «je», c’est seulement au hasard du texte qu’on en découvrira les éléments les plus signifiants (le métier, par exemple). «Quand on est hôtesse d’accueil…» dit la IV de couv, mais c’est seulement au bout de 6 pages du texte lui-même que la narratrice confirmera: « À ce moment, j’étais en poste aux Champs-Élysées…», expression qui reviendra en tête du paragraphe suivant: «J’étais à mon poste, aux Champs-Élysées…»…
Dans le premier doc d’appui à télécharger («1, la réceptionniste») on trouvera une sélection de de ces passages par lesquels se construit la figure matérielle composite de ce personnage fictif qui porte le livre. La clé pour trouver le vôtre: vraiment s’ancrer dans ce «totalement inconnu» du titre, se contraindre à la fiction, la part miroir personnel rentrera par les fenêtres même si on la chasse par la porte, il y aura cinq ou dix échos de personnes réelles dans votre personnage fictif, mais justement, aujourd’hui on propose de ne pas s’en occuper.
Et maintenant, le VERSO. Ce qu’il y a d’extrêmement singulier dans ce Totalement inconnu de Gaëlle Obiégly, c’est comment son personnage s’interroge en permanence sur son rapport aux morts, ou sa perception de comment les morts lui apparaissent, voire s’adresse à elle, ou bien, redoublement par strate sous le texte, comment chacun des personnes qu’elle cite, croisées dans son entourage professionnel ou privé, vit avec ses morts, depuis la façon même dont ces personnages, chacun à sa place dans la grande danse qu’ils composent autour de la narratrice principale, exprime sa relation à ses morts.
Au point que le mot «mort» (faites le compte vous-même) revient à 218 occurrences dans les 230 pages du livre (325 000 signes, 46 376 mots), mais décrit peu à peu une suite de figures d’abord distinctes, avant de se recomposer en direction unique (la méditation sur le soldat inconnu, mais de façon radicalement opposée au Parabole de Faulkner).
«Il est mort et, comme d’autres morts, à ce titre c’est une présence dans mon esprit.» Ou: «Est-ce que les morts savent tout ? C’est bizarre quand même de ne pas avoir d’informations sur une chose aussi importante.» Ou : «Quand je lave la vaisselle, ils sont dans mon dos. Je perçois leurs grandes ombres de morts.» Fiction de ce que le personnage dit de ses morts («N’importe qui sait reconnaître les morts, en réalité. On ne peut pas les confondre avec les vivants. Ils ont de grands corps transparents, les morts.») de la même façon que le personnage est fiction. Mais on a chacun assez de lourd et de grave, qu’on gardera pour nous, qui pourra nourrir ce que dit, rêve, sent, voit, craint le personnage de ses morts.
Difficile, risqué, dangereux, d’écrire de, ou d’écrire avec, ou d’écrire sur les morts ? Justement, c’est parce qu’énoncé par ce personnage fictif, la «réceptionniste» ou «hôtesse d’accueil» (tout devient allégorie ici) que cela nous devient possible, autorisé, légitime. On est protégé de nos morts, en abordant ceux du personnage.
Ce n’est pas obligatoire: relire cet exercice proposé directement par Laura Kasischke dans son Faire parler le mort.
Et lire bien sûr le 2ème doc d’appui à télécharger: comment ses morts s’adressent à la récerptionniste… Notre VERSO : votre personnage, une fiction, parle réellement de ses morts.
Ah le verso, non de non, la claque ! D’abord le grand et beau théâtre – j’adore le Tadeuz de G.O — comment faire autrement ? — puis place au chuchotement donc. Merci !