#rectoverso #06 | Gaëlle Obiégly, le personnage & ses morts

Ce matin, je sors de chez moi et je ferme la porte avec la clef de la maison que je met dans ma poche pour ne pas la perdre. Je marche vers l’arrêt de bus sur le trottoir. Il y a le gros bac de fleur devant moi. Je le contourne et je longe le muret avec le grillage jusqu’à l’arrêt. Les jeunes s’assoient sur le muret avec leur sac à dos depuis toujours. Leurs sacs à dos déforment le grillage. Mais ça, tu le changeras pas mais c’est dommage que les enfants ne soient pas mieux éduqués. Il est sept heure huit et le bus arrive à quinze. Aurélie arrive de la rue en face et traverse la route. On est tout les jours ensemble. J’aime bien la voir. Je suis content quand je la vois. Ça fait des années et des années que c’est la même chose. Il y a quelques jeunes qui montent avec nous. Ils changent tout les deux ou trois ans parce que c’est des lycéens. Nous, on reste. On est les vieux. On est là depuis plus longtemps, Aurélie et moi, que les chauffeurs de bus. Eux aussi changent tout les quelques temps… Je laisse Aurélie passer devant moi quand le bus ouvre la porte. On s’assoie devant ensemble à côté du chauffeur. J’aime bien ce moment de la journée. Parfois Aurélie, elle veut pas s’assoir à côté de moi si j’ai dit quelque chose de mal. Parfois je suis triste parce que je comprend pas pourquoi elle est méchante et si dure envers moi. Mais c’est les femmes et c’est dur de comprendre. Après j’ai aussi des problèmes pour tout comprendre. C’est dur parfois car là dernière fois, Aurélie était fâché avec moi à l’arrêt de bus devant tout le monde et elle a marché loin de moi pour attendre. Les jeunes, ils regardaient et je ne savais pas quoi dire. Ils lançaient des regards et ils riaient. Parfois, ça dure plusieurs jours où elle est fâchée et je ne comprends pas alors là, j’essaie de calmer les choses et disant rien et en étant calme. Mais c’est dur parce que on se parle pas et du coup, on se parle parle pas dans le bus et le soir, on se texte pas et du coup, je me sens seul parce que je n’ai pas d’autres amies comme elle. Quand tout va bien, comme aujourd’hui, je suis content. Les jeunes sont gentils cette année à l’arrêt de bus. Ce que j’aime pas c’est si il y a un gamin qui est irrespectueux, je lui dit quelque chose mais je suis mal à l’aise et j’aime pas aller à l’arrêt de bus le lendemain. Je vais le revoir et je ferais attention toujours si il refait pas des moqueries et des grimaces ou ils imitent ma main. Ça me donne mal au ventre. Et si Aurélie, elle est là, c’est encore plus dur. Parce que souvent elle le sait, elle l’a vu et elle sait que j’y pense et je lance des regards. Après je suis vieux, je peux pas dire des trucs. C’est leur parents qu’y faut qu’ils leurs disent quelque chose. Mais j’aime pas qu’Aurélie, elle le sache si je me suis fait insulter. Une fois, il y avait un conducteur de bus qui a dit quelque chose et il s’est vraiment énervé. Une fois, j’ai vu un gamin qui s’était moqué descendre de la voiture de sa mère et je suis allé parler à sa mère. Mais elle partait au travail et j’étais nerveux derrière la portière pour expliquer la situation mais je l’ai quand même dit et je me suis pas laissé marcher dessus. J’étais fier quand je suis revenu sous l’arrêt et les autres enfants, ils étaient prévenus tout d’un coup. Aurélie, elle a moins de problème excepté quand elle s’énerve, parce qu’elle fait des bruits et des grimaces et là, les jeunes souvent la regardent et peuvent l’imiter et se moquer. Là, je la défend même si elle est fâché contre moi. Je dis « oh » aux jeunes. J’aime pas du tout que l’on s’en prend à Aurélie. Je l’aime. Je veux la protéger. Elle me le fait sentir parfois qu’elle n’a pas besoin de tant d’attention et à d’autre elle l’accepte. Mais quand elle est énervé et qu’elle a des émotions, je la défend si d’autres personnes se moquent. Mais aujourd’hui, c’est cool. Aurélie est contente. Le conducteur du bus est sympa. Les collégiens sont en vacances et les lycéens y sont sur leur portable. Une fois, arrivés dans le centre ville, on prend un second bus pour aller dans la zone commerciale où y’a le travail. Le bus est plus bas. Parce que d’abord c’est un autocar et ensuite on prend un bus. Dans le bus, il n’y a pas de rangée de deux sièges, uns à côté de l’autre, comme dans l’autocar. Parfois, on s’assoie ensemble, parfois je la laisse s’assoir sur un siège et je me mets à côté d’elle. En même temps, j’aime pas devoir enlever et mettre mon sac tout le temps à cause de mon bras. C’est pas facile et j’ai la honte à cause de la peur. Mais on m’a dit que c’est pas à moi d’avoir honte. Donc en restant debout à côté d’Aurélie, j’ai pas besoin d’enlever mon sac et en même c’est bien de laisser sa place aux femmes. Une fois qu’il y a notre arrêt, on descend et on marche vers l’entrée. Monique nous accueille avec un sourire et on badge à l’accueil. Aurélie va dans le vestiaire des filles parce qu’elle doit se changer avant d’aller dans l’entrepôt. Moi, je vais dans les bureaux donc j’ai pas besoin de me changer. Je suis content de mon travail. On fait du bon travail. Mais parfois on nous parle comme des enfants. Je vois la différence entre les gens et nous. Ils parlent vite et on nous parlent à voix haute et doucement. Ils parlent comme ça : « Eric, est-ce que vous avez bien vider les bacs de déchets hier? Je ne vois pas la signature sur la feuille d’émargement. » « Oui, je l’ai fait hier soir et je l’ai noté. » « Ah oui, excusez-moi Eric, je ne regardais pas la bonne ligne. » Parfois je suis en colère à cause de la manière dont elle me parle même si elle a raison et qu’il faut quand même vérifier que le travail soit fait. Je le comprend ça, je suis d’accord. Mais j’aime pas parfois. J’aime pas trop Véronique. Elle est gentille mais elle parle fort avec moi et elle est toujours au téléphone et me coupe dans mon travail. Elle travaillait dans une grande entreprise maintenant donc elle croit que c’est la cheffe. Plus encore que la cheffe, parfois. Mais je suis poli et silencieux donc j’ai eu de la chance qu’on m’a donné ce travail dans les bureaux. C’est plus facile que le travail de fabrication dans l’usine. Même si parfois, j’ai du mal avec le balai et le serpillère.

J’ai froid quand je me balade dans les couloirs de l’entreprise. Je n’aime pas en parler et je préfère pas l’écrire mais puisque l’on m’a demandé, je dirais que je pense souvent à ma maman et à combien je l’aimais et que maintenant il n’y a plus rien. Mon père, j’aimais bien rire avec lui. Il s’asseyait sur le fauteuil. Moi, je m’asseyais sur la canapé, c’était ma place. On rigolait ensemble et je l’écoutais pendant les nouvelles et j’apprenais des trucs. « On mets les infos mais c’est toujours la même chose. » Maintenant la maison, elle me fait peur parfois parce que il n’y a personne. L’aide-soignante passe une fois par semaine mais sinon, je suis seul. Les meubles sont les mêmes et la nuit, la lumière du lampadaire jaune, j’aime pas. Les nouvelles me font peur aujourd’hui. Mon père, il dirait : « C’est toujours, la même chose » et ensuite je me sentais rassuré. Parfois je me le dis tout seul quand je suis devant la télé. Mais… je suis si seul maintenant.