#rectoverso #10 | notes

sous l’orage à travers le va et vient qui mélange poussières de sable et traits de pluie  la route file, loin devant un point recule avec le concerto italien au piano qui avance et fait retour en boucle. Paysage minéral, verts sombres bleuis de pluie et le ciel de métal coupé en deux par cette arche aux spectres de couleurs sortie de nulle part

soudain ne plus voir qu’ une seule arche mais deux jumelles, dédoublement mirage, soudain voir ce camion loin devant en deux avec sa bâche rouge qui roule à côté de lui-même soudain ne plus savoir où

au recto l’acier galvanisé comme un miroir de glace, autour la haie de bambous, l’herbe longue –des orties penchent, ce vert plus sourd des feuilles urticantes– ; au pied de la brouette une bassine rouge

ne voir que la tache rouge, ne voir que la masse verte ; vert et rouge dansent d’un œil sur l’autre, l’un galvanise l’autre . Le noir et le blanc d’une pie avec son bruit tranche l’image et je devine dans les orties un ballon crevé

entre les arbres qui pèlent, de hauts platanes à peau blanchâtre ocre et grise avec un peu de bleu – enfin tel serait le mélange sur la palette – un champ de blé dans la lumière fauve d’été avant le coucher ultime et le silence de quelqu’un qui dort suspendu dans le tressage de cordes

comme voir une dernière fois avant de  perdre la vue, cette heure du jour en feu basculant, ne pas ciller, jusqu’au noir s’écarquiller puis à tâtons en trébuchant sur des escarres de terre rejoindre

à marée descendante écheveaux d’algues couleur de prune rouge, traits d’eau brossés, ou étendues lâches, des découpures de ciel  flottent; droit devant : ciel, eau, sable en trois bandes horizontales stables sans point de fuite, à gauche la plage immense vers le phare où quelqu’un court; un chien

l’humide appelle l’humide, l’œil se voile; voir comme à travers un verre légèrement dépoli, prendre l’appareil, photographier le loin, faire le point à l’aveugle sur le phare ; ce que dira l’image après

notes en notes 

"Le soleil rayonnait sur cette pourriture"
de l'or avec du rose brodé au point de feuille, jeté de pure lumière cette tache de vomis sur le gris du trottoir... C'est D. qui raconte il était resté à distance un moment pour contempler la flaque... plus tard en se figeant contre le mur de son atelier devant un portrait de Baudelaire : Tu ne vois rien ? Tu ne vois pas la ressemblance (Crénom)

La robe dans le tableau (un portrait peint par Velasquez), son volume, sa matière, sa lumière, les détails de broderies, la perle... il semble que tout est vrai et, s'approchant du tableau : ces brossages, ces coulures, ces frottement, ces taches, tout est vrai

"La diplopie est la perception de 2 images d'un seul objet. La diplopie peut être mono- ou binoculaire. La diplopie monoculaire n'est présente que lorsqu'un seul œil est ouvert. La diplopie binoculaire disparaît lorsque l'un des deux yeux est fermé." Quand tout s'est dédoublé sur l'autoroute il a fallu parier que la première sortie à droite était la bonne

À une projection d'images d'archives, dans l'amoncellement de corps décharnés, cette tête révulsée yeux grand ouverts, elle croit reconnaitre le visage; ce qui est sûr dans l'histoire c'est que même si ce n'était pas le visage qu'elle cherchait c'était ces yeux-là qui en avaient reçu l'image dernière


A propos de Nathalie Holt

A commencé en peinture, a vécu de théâtre et d’opéra, des années de scénographie plus tard ne photographie pas que son lit, tient son journal en images, écrit et marche chaque jour a publié un peu pour aller au bout d’un geste ( Ils tombaient ) ( Averses) https://www.amazon.fr/stores/author/B09LD7R2KY . Écrit pour lire.

13 commentaires à propos de “#rectoverso #10 | notes”

  1. Merci Nathalie. Comme Emilie le dit bien : vous nous faites voir. Merci de ces biens offerts.

  2. je rentre dans ce paysage humide et minéral avec le concerto italien et je reste, je ressens
    et comment le regard progresse lentement comme celui du photographe

  3. Merci Emilie, Ugo, Françoise… ce retour en paysages, je comprends en y travaillant, qu’il devrait être plus régulier ( et faire ce travail de notes comme semer des graines ou des petits cailloux sur un chemin – Pensé à Jaccottet et à la Semaison )

  4. « l’humide appelle l’humide, l’œil se voile, voir comme à travers un verre légèrement dépoli, prendre l’appareil, photographier le loin, faire le point à l’aveugle sur le phare ; ce que dira l’image après »

    On aurait tant encore à découvrir de ce monde vivant, ces belles images nous laissent rêveurs… »les arbres qui pèlent » , « les escarres de terre »… »à marée descendante écheveaux d’algues couleur de prune rouge, »
    Merci

  5. la musique et la technique… et finalement une profusion de sensations à la fois visuelles et tactiles et offertes comme en concerto !

  6. Sensations fortes et fines dans un même élan d’images très percutantes. J’aime beaucoup les escarres de terre…Merci!

  7. Dédoublements, persistence rétinienne le long de ces vivants haillons beaudelairiens. Et voir Sophie Calle comme voir une dernière fois avant de perdre la vue…merci Nathalie!

  8. Merci Michael; et pour cette référence à Sophie Calle dont j’ai rencontré le travail il y a longtemps disons plus de trente ans si tu peux me dire où retourner lire ?

  9. Nathalie, en lisant ce texte me viennent en mémoire les photos que tu postes sur Instagram ! Le même univers… Intéressantes les notes en notes. Impression identique d’entrer dans ton univers !