#rectoverso #10 | IBUKA, souviens-toi


plongeante sur le vert foncé du parc. Du haut du 12e étage, du vert, vert et quelques allées de sable et de cailloux clairs, c’est la vue depuis là-haut. On dirait que les deux barres de béton, penchées sur lui, veillent sur le parc. Lui s’étire sur les centaines de mètres, en hauteur mais aussi en pelouses animées par des familles, des ballons, des tables improvisées. Quand on se balade dans cette végétation que les jardiniers ont voulu sauvage, on pourrait se croire ailleurs que dans une grande ville. L’ancien mur de la caserne percé de meurtrières régulièrement espacées ceint l’ensemble. Ça monte, ça descend, c’est presque authentique, vrai. Les noms des lieux sonnent au son d’un clairon absent : Front forestier, Plaine des douves, Jardins de reconquête. De beaux platanes arabesques aux branches-bras tordues, du vert, encore du vert assurément. Sur un des murs aveugles, une trouée d’ombre abrite des herbes sauvages, orties, ronces, lierre. Sur une allée parsemée de bancs, des arbousiers aux feuilles buissonnantes offrent leurs fruits pas encore mûrs à la coque hérissée de pointes. Quelques feuilles orangées pendent comme les doigts d’une main fatiguée ou d’un gant oublié. Une piste de skate où des enfants se mesurent aux ados, des tables de béton spécial grande famille ou groupe d’amis, des bancs en bois, des aires de foot ou de volley, quelques machines rudimentaires pour exercices sportifs, des transats. Mes yeux balaient les scènes de détente, des amoureux serrés, des genoux écorchés, les amis retrouvés, les familles à table, je baguenaude et je me dis quelle bonne idée d’avoir transformé cette caserne en parc. Les enfants ont écrit à l’entrée, c’est la rôtisserie en parlant des toboggans-tunnels en fer chauffés à blanc. Bref, c’est l’été.


me faufile dans le bosquet, de jeunes arbres ont été plantés, ensemble ils mélangent leur houppe faite de pompons de fleurs crème pâle, je ne connais pas leur nom et nul part de panneau pour indiquer l’espèce. Je pénètre un peu plus et là je tombe sur une plaque de granite noir dressée, une stèle à la mémoire des victimes du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda en 1994. Invisible de l’extérieur du bosquet, comme avalé par un trou noir du temps, la stèle aux lettres dorées s’élève pour que la machette de l’oubli ne les tue pas une seconde fois.
IBUKA, souviens-toi… dit la plaque et j’aimerais ajouté
Plus jamais ça, mais je sais qu’en ce moment même des humains assassinent d’autres humains les traitant de cafards, le même nom donné aux Tutsis au moment de leur massacre.