#rectoverso #11 | Sei Shonagon

Recto

Une bougie

La bougie étincelle sur le gâteau

La bougie étincelle sur le gâteau sans s’éteindre

La bougie étincelle sur le gâteau sans s’éteindre sous le souffle de l’enfant

La bougie étincelle sur le gâteau sans s’éteindre sous le souffle de l’enfant. Un air de surprise sur les visages. La bougie rallume sans cesse. La farce est rapidement découverte, il s’agit d’une bougie inextinguible, une farce de Michel pour faire sourire Alexandre. L’enfant est souvent songeur comme accablé par trop de pensées. Le grand-père aime son rire cristallin et ses grands yeux noirs.

La bougie ne se rallume plus, on enlève les dix bougies, on coupe le gâteau, on ne rit plus vraiment.

Verso

Les grands points du récit sans nommer les personnages, comme si chaque point pouvait faire l’objet d’un développement indépendant

Un anniversaire d’enfant où il n’y a que des adultes, plusieurs générations dans la même pièce. L’enfant est heureux, un air inquiet l’espace d’un instant disparaît aussitôt.

Une photographie noir et blanc et un vieux carton indiquant une date qui n’appartient à personne, un poids de naissance est noté d’une écriture appliquée.

Des enfants devenus adultes qui soudain questionnent leur mère sur son passé. Ils fouillent dans les silences d’autrefois avec la maladresse de qui découvre que les parents ont eu une vie avant eux. Elle détourne le regard, range des objets qui n’en ont pas besoin. « Pourquoi ces questions maintenant ? » se demande-t-elle à voix haute quand elle est seule, sa voix tremble un peu.

Un mari silencieux qui travaille beaucoup dans l’arrière boutique et une femme de caractère qui parle beaucoup avec les clientes sans jamais rien révéler d’elle-même. Elle est partout dans ses mots et nulle part à la fois, comme ces acteurs qui excellent à jouer tous les rôles sauf le leur.

Un mari fume en cachette. Il mâche souvent du chewing-gum à la menthe quand il rentre après avoir promené le chien. L’odeur du tabac s’accroche à ses vêtements malgré ses précautions. Ce petit mensonge creuse entre eux un fossé ridicule et immense.

L’enfant souffre en silence. Il aime apprendre, mais ne veut plus aller à l’école, mais il ne le dit à personne. L’enfant est moins joyeux.

Le travail d’un vieux couple de fleuristes à Paris. Leurs mains se croisent depuis si longtemps au-dessus des bouquets. Ils ont le cœur plein de couleurs et la peau épaisse au bout des doigts.

Le souhait d’avoir un autre enfant et le questionnement intérieur de chacun. Elle y pense parfois, lui aussi, mais il calcule son âge quand l’enfant aura son bac. Il trouve cela désolant. Chacun tourne autour du sujet sans jamais l’aborder franchement, chacun guettant un signe chez l’autre, une ouverture, un encouragement qui ne vient pas.

La vieille fleuriste ne peut pas aimer ses deux filles de la même façon, mais elle les aime chacune aussi fort sans savoir comment. Elle ne s’explique pas cette mathématique du cœur. Cette différence se voit, s’entend, mais tellement intégrée à leurs vies que les filles ne s’en offusquent pas (ouvertement), alors même qu’elles sont adultes.

Un dîner qu’on regrettera jusqu’à la fin. Les mots déforment la pensée, les reproches jaillissent comme des lames. Une adoption révélée trop tardivement, au moment où les cœurs ne sont plus assez tendres pour accueillir la vérité. La tragédie se profile, le destin se moque des précautions.

La recherche de parents biologiques, un parcours semé d’embûches et de mauvaises surprises. Chaque porte qui s’ouvre révèle un nouveau mystère, chaque réponse soulève dix questions.

Des idées farfelues naissent dans les esprits et y prennent trop de place. Elles chassent le sommeil, perturbent les conversations, transforment l’homme et la femme. On voudrait s’en débarrasser, mais elles s’accrochent, tenaces comme des ronces.

Une épouse inquiète observe son mari s’éloigner peu à peu. Il rentre plus tard, sourit moins, évite le regard et le toucher. Le soupçon d’infidélité s’immisce dans son esprit à elle pendant que le sien pose d’horribles questions. Jamais il n’aurait imaginé que la recherche de sa mère biologique lui causerait tant de mal et tant de dégoût.

Deux sœurs sont en désaccord sur un détail qui semblait insignifiant. Un carton, une photo, le passé de leur mère. Leur dispute prend des proportions inattendues, réveille de vieilles blessures, fait voler en éclats des années de complicité. La différence d’amour de leur mère ne les avait jamais éloignée l’une de l’autre. Elles se découvrent étrangères l’une à l’autre, et cette révélation les effraie plus que leur colère.

Une grossesse désirée qui tombe mal. Le bonheur et la joie gâchée par le soupçon et l’angoisse qui se mélangent dans le cœur de celle qui porte cette vie nouvelle. Elle pose la main sur son ventre encore plat en se demandant si cette annonce ramènerait leur vie d’avant.

Un face-à-face entre la mère biologique et le fils abandonné. Le fils doit partir, disparaître pour sauver ce qui peut l’être. Un nouvel abandon. Tragédie. Comme si certaines blessures ne pouvaient pas se refermer.

Un homme disparaît sans laisser de trace. Il sort un matin comme tous les matins. Le soir, sa place reste vide à table. Les jours passent, les recherches ne donnent rien, il semble s’être évaporé comme la buée sur une vitre. L’enfant s’enferme davantage en lui-même. Que devient un homme qui choisit de n’être plus nulle part ?

12 commentaires à propos de “#rectoverso #11 | Sei Shonagon”

  1. L’histoire est là, entre les lignes, et nous prêts à l’entendre. Merci Khedidja.

  2. quelque chose de terrible qui se dit là dans le recto, de glaçant
    et je retiens du verso « L’enfant souffre en silence »
    Un drame dans le silence…
    si dur si fort

  3. Comme si certaines blessures ne pouvaient pas se refermer….dès le recto le ton est donné et ensuite c’est une cascade de blessures annoncées qu’on accueille comme on peut. Merci à toi.

  4. J’aime beaucoup ton texte. D’une bougie, on s’embarque vers le goûter d’anniversaire, l’enfance, la parentalité, le couple, la famille, le désir d’enfant, la séparation….
    Je trouve des rebondissements comme si tous ces petits fragments allaient partie d’un grand tout…

    • Merci Sylvia, oui un grand tout qui s’assemble à la fin du récit. Merci pour cette lecture.

  5. Chers amis du Tiers Livre, merci. Vos retours m’encouragent et me montrent la voix la plus authentique du récit en formation. Merci François pour ce cycle été qui tombe à point.

  6. Merci Khedidja de m’avoir accrochée comme ça. Ce texte qui avance par flash, sans se soucier de la chronologie, sans devoir nous expliquer qui est qui, c’est émouvant, intriguant et passionnant tout à la fois, et j’aurais pu continuer à en lire encore !

  7. Denses ces fragments comme petits cailloux semés sur la route. Images-Emotions. Merci