RECTO
Sépultures grises sous la chlorophylle des feuilles.
Maisons inertes clouées au sol,
Irréversibles demeures,
Alignées.
De gauche à droite et de bas en haut.
Nulle rondeur, nulle couleur, nulle douceur.
Tombeaux de pierres,
Froides,
Corps glacés dans cailloux glacés.
Maisons sans fenêtres, ni vue sur le ciel, pas de tête dans les nuages.
Pas de rêves, ni d’envolées poétiques.
Tombeaux,
Tomber de haut,
S’écraser sous le sol,
Enseveli sous la terre.
Cachés, les corps disparaissent en silence.
Mais comment se déchire la peau ?
En rubans ou en fines lamelles ?
Comment s’effritent les os ?
Et tombent les ongles ?
Bruits sourds invisibles à nos oreilles.
Pluie grise, larmes grises, mines grises.
Ajoutons du rose fuschia,
Du vert pomme, du bleu indigo.
Arbres, faites pleuvoir vos feuilles,
Enduisez ces monuments de beauté,
Envoyez les se mettre au vert.
Que fondent le granit, la pierre et le marbre,
Qu’ils ne restent que poussière et feuilles jaunies.
Corps et tombes unis disparaissant de la scène du monde.
VERSO
Dialogue muet entre la nature et les poussières.
Voix 1 : Mais de quoi parle t-elle ?
Voix 2 : De l’articuler, du dire, de s’exprimer.
Voix 3 : A quoi donc sert de discourir pour ne débiter que des ah ! des oh ! des bigre ! ou encore des ça alors ! des ciel ! des bontés divines !
Voix 1 : Mais bon sang de bordel qui vous crie ces jérémiades ?
Voix 2 : ça fait des bing, boum, patatras, ploc, plouf et cric, crac, tagada, tsoin-tsoin.
Voix 3 : Arrêtez donc de huer, je ne fais que vous interpeller sur le fait qu’il n’y a nul dialogue si celui-ci est muet.
Voix 2 : Muet ?
Voix 3 : Oui.
Voix 1 : Mutique, Aphone, Aphasique ?
Voix 3 : Bon sang, j’ai déjà prononcé mon discours.
Toutes les voix restent coi. Le silence est pesant. L’atmosphère se charge de plomb. Qui de la nature ou des poussières les écoute ? Quels vents pourra les faire revivre ?
Feuilles et grains tournoient,
Danse poussiéreuse,
Poudres s’envolant dans le lointain.
Voix 1 : Que c’est beau !
Voix 2 : Que c’est haut !
Voix 3 : Que cela parle fort !
Voix 1 : J’en pleure de joie !
Voix 2 : J’en ris aux larmes !
Voix 3 : ça nous brise les oreilles !
Les voix peu à peu s’éloignent maugréant des mots incongrus et dans la quiétude qui suivra, les arbres et les morts se murmureront entre les tombes cimentées, des mots d’amour enflammés.
C’est beau ce dialogue Vie/Mort. J’aime beaucoup « il n’y a nul dialogue si celui-ci est muet. ». Muet mais sacrément parlant !
Merci Sylvia pour votre regard, à vous découvrir à mon tour.
Merci pour ce / ces textes, ils disent Essaye ! Et aussi, ce n’est pas insurmontable et aussi c’est beau ça, ça pulse et visite plusieurs épaisseurs, oui merci Clarence, et bonne fin ou allant vers,
Merci Catherine, tes mots me touchent beaucoup. Hâte de lire ton texte.
que c’est beau ces mouvements pour monuments aux morts ! Et le dialogue qui suit, j’ai l’impression de marcher sur une lande drossée par les vents, quand on ne sait plus d’où vient ce qui vient, où va ce qui va, ni la différence entre ce qui vient et ce qui s’en va.
Merci Anne, à bientôt dans vos écrits.
« mais comment se déchire la peau en rubans ou en fines lamelles »
magnifique question-réponse ; puis les dialogues qui semblent flotter comme des diablotins, merci
Merci chère Raymonde pour la lecture et les encouragements.
J’aime beaucoup ! C’est très réussi !
Merci Philippe, je m’en vais vous découvrir.
Merci Clarence, je me sens proche de ce texte, sa thématique. Et vraiment cette théâtralité est très originale, les indications scéniques et poétiques, le passage du monologue au dialogue impossible (fort)… ces « il n’y a nul dialogue si celui-ci est muet » (comme Sylvia), « Mais bon sang de bordel qui vous crie ces jérémiades ? »…
Merci Michael, vraiment aimé cette proposition et se dessinent pour moi des choses. A bientôt.
Quelle réussite ! Merci pour ces splendeurs.
Bien à vous Louise.
Que c’est beau ! « Nulle rondeur, nulle couleur, nulle douceur » sauf celles de l’écriture. Merci Clarence
Merci Muriel, oui c’est très carré les tombes n’est ce pas.
on sent la comédienne chevronnée dans ce magnifique dialogue si vivant
« Feuilles et grains tournoient,
Danse poussiéreuse,
Poudres s’envolant dans le lointain »
comme toi, j’aimerais que le vent fasse tout revivre
je l’épie ce matin mais la chaleur est là et lui fait obstacle
plaisir de te retrouver, d’être un peu avec toi, là maintenant…
Bien à toi, Françoise.