#rectoverso #14 | à tâtons à reculons

Une chronologie, même relative, est difficile à établir, les sources étant ce qu’elles sont, et les flux s’écoulant. La catégorisation des périodes ne peut être que transversale, une même pulsion se manifestant parfois à des années de distance, un autre motif parcourant l’ensemble de l’œuvre.

Ce qui s'est passé en coulisses de cette proposition ne sera pas rendu public. On se contentera d'apprendre que le travail d'introspection et de prospection littéraire exhale des parfums de réflexion dont le pollen s'envole si loin qu'il élargit l'horizon. Le lectorat se montrera avisé de plonger dans "Les Cénaclières" pour y rejoindre l'autrice qui y brasse depuis le 14 août.

Période 1 – Ô Muse…
Lectures majeures de la période : Pouchkine, Mozart et Salieri
Courants esthétiques et idéologiques : Le culte du génial
Événements marquants : Obsédée par la crainte de la médiocrité, repli sur la page que personne ne lira, qui ne sera d’aucun échange, d’aucune rencontre, d’autre progression
Œuvres principales : Journal intime
Épicentre(s) géographique(s) : Intérieur jour, intérieur nuit

Période 2 – Rêves de gloire
Lectures majeures de la période : Alexandre Dumas, Marguerite Yourcenar, Maurice Druon, Racine
Courants esthétiques et idéologiques : Fiction historique
Événements marquants : Effondrements des certitudes
Œuvres principales (inachevées) : La mort de Domitien, La dernière Vestale, Dumas archéologue
Épicentre(s) géographique(s) : Bibliothèque

Période 3 – Touche à tout
Lectures majeures de la période : inconnues
Courants esthétiques et idéologiques : Tourisme littéraire
Événements marquants : Elle s’adonne à l’éclectisme
Œuvres principales : Du côté du couchant, Sur le fil, Les voies de l’univers, Une Piétonne à Madrid1
Épicentre(s) géographique(s) : Inconnu

Période 4 – Des inconnus, des comme nous
Lectures majeures de la période : Italo Calvino, Les Villes invisibles, Virginia Woolf, Mrs. Dalloway, Claude Pujade-Renaud, Dans l’ombre de la lumière, Pierrette Fleutiaux, Nous sommes éternels
Courants esthétiques et idéologiques : Archéo-sensibilité
Événements marquants : Cette « période » ne cesse de traverser son œuvre, de se faire nénuphar.
Œuvres principales : Fadia Nicé, La ligne de partage des eaux, Le mariage de Galla Placidia
Épicentre(s) géographique(s) : L’histoire et maintenant

Période 5 – La Toile
Une explosion de lectures majeures, une plongée dans la littérature contemporaine, dans les formes littéraires du web
Courants esthétiques et idéologiques : Recherches et tâtonnements
Événement marquants : Elle rejoint la communauté du Tiers-Livre
Œuvres principales, sur supports flottants : Toute l’eau de l’incendie, Les Néréides, collectifs Ateliers TL
Épicentre(s) géographique(s) : Ordinateur

Période 6 – la #14
La raison pour laquelle le nombre quatorze prend soudain une telle importance dans son écriture n’est pas établie. Aucune des hypothèses proposées2 n’est convaincante.
Œuvres principales : Choses absurdes (échos de la #11)3

Période 7 – Ruines etc.
Lectures majeures : Châteaubriand, Les Mémoires d’Outre-tombe,
Courants esthétiques et idéologiques : pré-post-apocalyptique
Événements marquants : la Reprise
Œuvres principales : ZAP, Phyllis, Lac/g/un.e.s,
Épicentre(s) géographique(s) : 14, rue de la Tombe-Issoire, 75014 Paris

VERSO

Je n’aime les châteaux forts qu’en ruine. Je les aime de moins en moins. Il y en a un, dans mon souvenir d’enfant, où je trifouillais les graviers. Je suis retournée à Caen : on le reconstruisait. Mon enfance disparaît derrière un replâtrage. Mais pourquoi reconstruire ? À quelle fin ? À quoi bon ? Ce n’est pas une restauration patrimoniale, c’est le relèvement d’un lieu de pouvoir. D’un lieu de force et de pouvoir. Un château fort. Un lieu de l’exercice de la violence.

De Marseille à Bollène, puis hors de l’autoroute, jusqu’à Saint-Restitut, l’observation du paysage révèle des ruines de châteaux. Qui passe le nez à l’air ne les remarque pas tous. Peut-être celui d’Orgon, et puis un autre sur la crête, et ainsi de suite.
quelques pans de murs en pierre
quelques pierres superposées

Démonter ces souvenirs de la féodalité ? Pas démolir : démonter, comme on démonte une théorie.

Ils s’imposent tant au paysage, à notre vue, à notre esprit.

Le rouleau de parchemin, dans son étui de plomb, tomba dans le grand canal. L’élément aquatique se troubla et dans ce mouvement, l’objet fut englouti sous des tonnes de reflets de pierre. Les façades des palais qui bordaient le canal se distordaient à l’envers à la surface de l’eau. Ainsi disparurent le portrait et les chroniques du dernier doge de la seconde république de Phyllis. Les algues glacées bientôt viendraient s’y enlacer, les mollusques s’y déposer, la vase, les ronger.


  1. Titre lacunaire, il pourrait aussi bien s’agir de Bamako ou de Maracaïbo ↩︎
  2. Il pourrait s’agir d’une date, le 14 août 2025, à laquelle une sorte de révélation stylistique aurait eu lieu, mais on sait qu’elle s’était depuis longtemps éloignée de tout schéma transcendant. On a également proposé d’y voir une allusion au département où elle a peut-être passé une partie de son enfance. Enfin, mais cela est encore moins probable, car la musique n’est pas au cœur de son œuvre, la fréquence du signe dièse avant les deux chiffres indiquerait un doigté sur une guitare ou un clavier. ↩︎
  3. Et soudain le nombre onze ? Coquille ou langage codé ? ↩︎

A propos de Laure Humbel

Site internet : Sur mes tablettes, laurehumbel.fr. Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie esclave romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. «Ton Nombril» et «BigBang» (Toutàlheure, 2023 et 2024, illustrations de Luce Fusciardi) sont des albums pour les tout-petits qui forment un diptyque sur le thème de l'origine.

Une réponse à “#rectoverso #14 | à tâtons à reculons”

  1. j’ai aimé baguenauder dans ton univers quelque peu surréaliste avec cette obsession pour le 14 et son dièse…