#rectoverso #15 | déroulant des pages : chantier foutoir

9  la couleur de la robe de la libraire n’est pas assortie à ses yeux ni à mon souvenir

faite à ses mesures elle lui allait à elle comme un gant : c’est curieux pour une robe

11 le cerceau, la robe tout brillait –et nos bouches à gober la mouche–, c’était beau comme avant, l’enfance

12 le libraire de la Place du Monstre a collé des yeux de papiers grand ouvert sur les yeux de l’homme qui dort

12bis dans le rêve l’enfant s’avance masqué

14 il avait de grands yeux

15 qui a vu l’origine ère avec les morts

16 et ça vous amuse ?

19 pièce : partie d’un ensemble considéré comme un tout : morceau-chambre-poème- ou scène

20 c’est sur la place qu’on les fusille

21 c’est dans la chambre qu’on les accouche

22 à cheval sur une tombe

23 dans l’histoire le cheval meurt

23 et vous voyez un lien

22 détail considéré comme un tout : celui d »une robe peinte ou dépeinte, celui d’un numéro porté à l’avant bras ou d’une tache dans l’œil

23 c’est un ruban de satin rouge de tout près on dirait une blessure

24 « Mon mal vient de plus loin » dit la voix

27 écrivez avec toutes les premières phrases des poèmes

28 écrivez avec des phrases trouvées par terre composez

(mettre des phrases ou des mots en bouquet c’est dans une pièce)

29 mettre en pièces: composer ou détruire

30 Détruire dit-elle

9 combien ?

8 ceci est un décompte

7 combien de morts en rouge dans la marge

6 ouvrez vos livres d’histoire

31 comme flammes des allumettes du conte elles brillaient dans l’absolu chaos

32 faites vos contes

41  la fissure du miroir de la salle de bain a gagné l’autre bord, à présent elle barre la glace sur toute sa largeur

42 des ampoules encadrent le miroir de la loge elle voit l’enfant derrière elle; elle tire sur ses yeux pour être sûre

43 choses en vue indirectes- reflets- miroirs et autres flaques

44 fabulation- faille- fabulation- faille- fabulation – lézarde

45 ce qui se déchire, s’écarte; pousse; tire

46 quand elle ne sait pas elle fabule; quand elle sait elle fabule aussi

* hue cocotte

50 choses qui tombent ou retombent du ciel : les missiles balistiques par exemple

60 que faisions nous hier ?

61 écrivez au passé simple

65 à Hyères il marcha d’un bon pas pour rejoindre l’embarcadère il neigeait

66  il partagea son lit avec des rats et ses enfants avec la mort

67 à ce stade de la nuit la fatigue me pousse dans des zones plus obscures

68 nous marchâmes au long des quais, nous avions tous les âges du monde,

69 nous eûmes à la gorge ce nœud de salive noire, un vent de cendre gagnait la place : un feu invisible crevait le silence

70 il le regarda mourir attendant de dévorer son pain : regardait son père et attendait qu’il meurt

elle dit : le passé simple est une  armure, il rend invulnérable à soi.

* et ça vous fait rire

9 vous prendrez bien une part flanc

10 moi je préfère le pain perdu

11 le perdu ou le pain

72 à ce stade de la nuit je vois poindre le jour et j’écris deux lettres

74 dans les initiales des mots se cachent

75 dans les cimetières il manque des noms

76 sur le monument , il y en a trop

77 épelez!

78 mot nu ment

79 mo ment

* vous prendrez bien une tranche de pas perdu

90 Un jour on prend la mer, on part avec un nom, mettons, on emporte un harpon, on se rejoint dans l’infini qui est comme on le sait turbulent

95 C’est quelqu’un, sans qu’on sache vraiment qui

96 c’est quelqu’un ou personne

97 dix mois elle l’a attendu  ; elle a attendu un nom

101 mais quelqu’un est là couché sur le trottoir il crie je me penche à la fenêtre

102 il y a un idiot qui regarde et raconte ce qu’il voit dans une langue de travers, un autre se prend pour un cheval; il y a un enfant qui pêche un poisson gros comme une mère le lait qu’il boit est noir ; dans les rues où l’on marche – car ici on marche et surtout la nuit même parfois dans la neige sans sabots–, le fleuve est au burin ; dans les estaminet on boit vert ; plus loin le cheval meurt et toutes les bêtes

103 un visage rasé de frais par la trappe d’un cercueil; ça se passe au Japon comme Hiroshima

104 son visage d’avant la catastrophe retrouvé dans la mort, comme une épiphanie : tu es revenu dira la femme qui l’a attendu

comme voir une dernière fois avant de  perdre la vue, cette heure du jour en feu basculant, ne pas ciller, jusqu’au noir s’écarquiller puis à tâtons en trébuchant sur des escarres de terre rejoindre

9 il y a une mère en tablier bleu , elle penche

8 partout, toujours, quelque chose penche, tombe, oblique, rien n’est droit même pas la mère

7 partout, toujours, il y a des mères et des tombes: elles penchent

À une projection d’images d’archives, dans l’amoncellement de corps décharnés, cette tête révulsée yeux grand ouverts, elle croit reconnaitre le visage; ce qui est sûr dans l’histoire c’est que même si ce n’était pas le visage qu’elle cherchait c’était ces yeux-là qui en avaient reçu l’image dernière

105 le jour où mon père a conduit sa mère au cimetière il avait l’air d’un premier communiant : c’est à cause de la cravate et des manches de la veste trop courtes je me suis dit c’est à cause d‘être encore un enfant avant de tout jeter le trou avec la boite

109 choses oubliées à se rappeler d’urgence

110 cette façon de s’arranger avec l’oubli ou d’oublier pour

111 c’était il y a longtemps si oui longtemps juste le petit corps dessous et la bâche au bord de la route, un peu de vent après le grand tournant … le fait qu’il y avait le sable oui sur le bord et quand parfois on s’enlisait au grand tournant

112 tu-te-souviens-tu de la nuit brassée bières sur bières et des étoiles crayonnées creux au ventre sur les gradins de pierre
Tu-te-souviens-tu de nos nuits à l’envers d’autres vies
Ha ! peau contre peau comme des indiens avec des mots de théâtre en parure nous étions
Et des rêves gonflés à l’hélium

114 le fait que c’est toujours plus ou moins beaucoup plus grand à hauteur d’enfant

115 celle qu’on voit sur la photographie de l’album dans la maison de la grand -mère qui est morte depuis : oui c’est toi ; entre les pages un bouton de rose a séché

116 cette photographie qui dit : j’y étais et la dune faisait une montagne (le fait qu’elle se soit affaissée)

117 dans le regard il y a de l’élan et de la mélancolie mais ce ne sont que des photographies, un instant d’invisible, un leurre d’arrêt sur image.

9 bleu ou bleu est-ce que je sais

10 changer la couleur c’est une façon comme une autre de dire bonjour

ne voir que la tache rouge, ne voir que la masse verte ; vert et rouge dansent d’un œil sur l’autre, l’un galvanise l’autre . Le noir et le blanc d’une pie avec son bruit tranche l’image et je devine dans les orties un ballon crevé

11 Je ne franchissais pas la barrière invisible qui nous séparait. Je ne m’approchais pas pour voir de l’autre côté ce visage qu’il peignait. Il peignait sur différents supports. Je voyais le visage à l’envers, parfois un peu de matière affleurait, de l’huile suintait; lui je le voyais en plein : son visage, son regard et ses mains elles vivaient

12 et puis, un jour, il a dit: je crois que c’est fini

* faites comme si vous ne saviez rien

120 ici on ce doit d’être au présent du présent, doigt sur la couture des phrases,

121 dans le trou c’est là que tu es au plus près des vivants et des morts, elle m’avait dit – dans le trou parer au trou : joli paradoxe-,

122 Le fait d’un cri puis d’un autre quand elle me dit le texte assise sur sa petite chaise en haut des marches

123 sont entrés en même temps dans la maison « , c’est une phrase que dit le personnage de la pièce. Qui et quoi sont entrés en même temps? Le cercueil n’est pas entré dans la maison en même temps que la mort, il l’a suivie de peu puis il l’a emportée ailleurs ; les chaussons de bébé ont précédé de quelques semaines la naissance de l’enfant, on en avait choisi des blancs pour ne pas se tromper, on les retrouverait au fond d’une boite avec la mèche de cheveux, le ruban et la dent, l’enfant aurait depuis longtemps quitté la maison

150 c’est Kafka qui parle à quelqu’un qui l’appelle Bernard, devant Max qui sait qu’il est Franz et qui lui demande après que l’autre est parti : pourquoi n’as-tu pas dit que tu étais Franz, mais parce que je suis Bernard. Si on te prend pour quelqu’un d’autre ne démens pas. Dans la vitrine du chapelier de la place il y a plein de têtes à chapeau sans visage et un miroir avec quelqu’un que je prends pour une autre. Ne sors pas sans tête il a dit après au lieu de chapeau. Quand je lui raconte que je suis ma sœur, il dit, Oh comme elle te ressemble. Souvent Je reconnais quelqu’un que je ne connais pas. L’autre jour j’ai embrassé le dentiste dans le hall du théâtre je l’avais pris pour la sœur de Bernard. Et le nom du visage qui ne te revient pas. Et ceux de l’allée qui n’ont pas de visage. Sur la photographie tombale quelqu’un a écrasé une fleur sans doute à cause du prénom Rose.

177 que dit le paysage

178 c’est l’image voilée d’un ciel, peut être ; on imagine un petit nuage, il se déplace de gauche à droite sur un ciel de papier bleu comme sur un rouleau imprimé en série pour un décor de fête foraine.

179 on voit Blanche se glisser dans un champ entre les tiges plus hautes qu’elle, si Blanche est petite les maïs sont immenses ;  le chapeau de paille de Blanche a des trous, ses joues et sa chemise se couvrent de petites taches comme des pois de rousseur,

180 Blanche peint sur des sacs de grain cousus ensemble, elle a des mains calleuses et douces, de grandes mains, plus que sa figure, des mains qui regardent droit comme font ses yeux. Où on voit Blanche monter dans une charrette tirée par un cheval qui meurt, puis perdre son sang sur une route . Un jour elle est à New-York : il neige

….

9 est-ce que j’invente l’insecte, un rongeur de papiers : mirage de grouillement

181 « Je sais maintenant que je dois trouver les noms pour moi-même… « 

187 ici la multiplicité des voix fait œuvre; œuvre dont on n’a qu’une vision partielle

190 elle parle. Elle parle. Elle dit. Elle récite. Elle clame. Elle déclame, elle scande. Elle bavarde. Elle potine. Elle ne médit pas. Ni ne dénigre. Elle critique. Elle tempête. Elle crie. Si elle jure c’est plutôt contre elle-même – je dirais contre sa peur : j’extrapole ? Elle parle. Elle dit. Elle se couvre de mots. Les siens. Ceux des autres. Elle parle pour donner à entendre mais aussi pour chasser. Elle voudrait tant pouvoir se taire. Elle parle. Elle dit. Pour mettre à distance elle amalgame les mots. Mais que chasse- t-elle avec les mots ? Elle lit, elle apprend, elle dit. Elle se couvre de mots. Elle parle. Elle enterre le silence. C’est un fleuve. Elle ne peut pas se taire. Si le silence était la peur d’où découlent toutes ses peurs. J’imagine. Elle parle. Elle dit. Pour taire le silence. Elle apprend mots et pages ; elle sait une bibliothèque entière. Elle dit, elle joue les mots. La peur n’est pas si mauvaise conseillère : Écoute , entends comme c’est beau. Elle récite. Elle chante. La nuit. Même la nuit. À personne. Elle imagine un interlocuteur comme dans une conversation courante, elle marque des pauses : elle se répond. Lucide elle dit : moi je parle même à personne. Tu ne peux pas te taire rien qu’une seconde! Pas plus haute qu’une pomme on lui disait déjà : Ravale un peu ta langue. Elle babillait. Elle babillait. Dans le noir. Contre le noir. Elle parle. Elle rêve. Dans son cauchemar elle parle et aucun son ne sort. Elle hurle de peur. C’est un abime de silence. Sais-tu qu’elle ne dors plus jamais dans le noir ; elle laisse l’ampoule allumée au bout de sa tige, comme une servante au théâtre. Je la vois, elle dort. Sous ses paupières et sur ses lèvres passent les mots. Elle parle encore. Presque sans bruit, elle parle. Elle susurre. Pour ne pas dire les mots du silence. Elle dit. Elle enfouit. Pour ne pas entendre les mots de sa peur . Elle parle. Elle dit. Elle récite. Elle chante: Écoute.

9 comme on étend ses draps on parle avec le vent

8 encore crient les enfants. Encore crient les enfants avec la cloche loin du soir qui vient. Avec la route loin et le tracteur de la route qui descend. Son moteur. La main qui se lève, fait signe. Et le cimetière en contre-bas qui ne fait rien, ni ne bruit. Une minute pas plus dit la voix. Et le cheval s’arrête. Il a de très grands yeux.

7 t’oublie nous tombe 



5 passer outre

3 c’est quelqu’un, sans qu’on sache vraiment qui,de peu de mots : indécidable poussière

… Cailloux tombé de ta poche crevée sans retour jusqu’au silence

A propos de Nathalie Holt

A commencé en peinture, a vécu de théâtre et d’opéra, des années de scénographie plus tard ne photographie pas que son lit, tient son journal en images, écrit et marche chaque jour a publié un peu pour aller au bout d’un geste ( Ils tombaient ) ( Averses) https://www.amazon.fr/stores/author/B09LD7R2KY . Écrit pour lire.

11 commentaires à propos de “#rectoverso #15 | déroulant des pages : chantier foutoir”

  1. Jubilatoire, libératoire (euh, non, ça fait vraiment trop ‘prélèvement libératoire’), d’une liberté dansante, invitante; j’ai l’impression d’écarter les roseaux au bord d’une étendue d’eau de voir une scène silencieuse, une figure, un oiseau un poisson, et puis hop, de laisser les roseaux se resserrer et de retrouver à la brèche un peu plus loin un autre oiseau, ou le même peut-être. j’aime !

  2. je me relis, dans le jubilatoire et le dansant qui m’a fait réagir prestement, la dynamique bien-sûr, mais je n’ai pas mentionné le profond de cet étang, qui touche, intrigue, appelle.

    • Liberté ? la proposition invitait à la fois au retour et à l’ouverture, volonté d’attraper des choses et de laisser flotter : un dépôt pour après… Merci beaucoup du retour Anne.

  3. « comme on étend ses draps on parle avec le vent » je m’en rappellerai. Comme j’aimerais feuilleter une version papier de ce chantier foutoir déroulant des pages et non un écran. Pour mieux comprendre la logique des numéros. Avec l’impression de toujours revenir en arrière comme si un frein retenait l’écriture mais elle n’a qu’une envie : continuer d’avancer. Je n’ai pas vérifié mais le sentiment d’avoir déjà lu ces bribes durant l’été recto-verso et contente de les retrouver là ailleurs agencées autrement dans une nouvelle dynamique. Merci Nathalie

    • Les notes viennent pour la plupart du travail de cet été ,tout a été fait dans l’urgence avec le désir de revenir vers ces dépôts de pages. Les numéros ( je n’aime pas trop les numéro) sont-ils purement arbitraire? les retours en arrière des ouvertures à d’ autres départs possibles, sans doute… Merci Cécile de ta lecture attentive

  4. Elle enterre le silence. C’est un fleuve. Elle ne peut pas se taire.

    ..Me suis laissée embarquée sur ce fleuve avec des arrêts sur image, des précipitations, des eaux troubles mais pas que, et de la vie même si la mort rôde.
    Merci!

  5. C’est vraiment très beau. Et puissant. Une déambulation, une promenade avec des couleurs, des sons, des arrêts sur images. De l’acier mais aussi du velours. Ces fragments là, en l’état, je les transporterais bien sur ma table de chevet pour des lectures transversales, nourrissantes avant de m’endormir tranquillment. merci

    • Vraiment touchée Louise, merci pour les échnages . En revenant vers ces pages je me demande ce qui peut se développer à présent.

  6. Une fleuve, oui. Foutoirement fort, puissant, emportant. Merci Nathalie. Fleuve aux multiples voix qui réussit aussi à faire entendre le silence source de toutes nos peurs. Magnifique. Puissant. Grands mercis.

  7. Une traversée aussi libre que travaillée.
    Un melting-pot pour pour entrer dans tes tableaux, ici et là déjà croisés,
    Etonnée de les retrouver suspendus en plein dans le mille
    Sentir que je peux sans peur, vagabonder aujourd’hui entre eux, et le non passé simple d’Olivia

    Sourire vers toi