Coup de cœur. Un tableau au milieu d’une exposition hétéroclite à Vienne, dont je me rappelle à peine. Mais le tableau, oui. Les couleurs, oui. Le sujet aussi. Du vert frais, de l’orange, du bleu en strates, du violet. Et des traits noirs qui encadrent, soulignent, finissent en palmiers dans le vent sur le côté droit de l’image. Le violet avec l’orange, l’orange avec le vert, Et le noir qui ponctue. Un paysage de mer du Sud. Le soleil couleur orange insistant réchauffe, la strate violette apaise. Le nom du peintre : Emil Nolde. Jamais entendu parler. Mais pour l’instant, le tableau me suffit.
Puis le temps passe. Une exposition au musée Fabre à Montpellier va me rappeler cette rencontre. Une exposition spéciale dédiée à Emil Nolde. J’y retrouve mon coup de cœur. Je découvre en même temps des tableaux pleins de couleurs, de mouvements, de tourments. Des ciels d’orage, des nuages rouges, des mers agitées violettes, des vagues déferlantes. Ces peintures me parlent, me font vibrer, ces paysages en feu, ces coquelicots rouges pleins de vie m’émeuvent, et je suis enchantée et surprise, c’est la première fois que je vois autant de couleurs puissantes tourner et danser dans des toiles…
Et je vais à la rencontre d’Emil Nolde…
Né en 1867 à Nolde, à la frontière entre l’Allemagne et le Danemark, dans le Nord, un pays plat, gris, tourmenté par vents et pluies, pays froid, dur, inamical. D’une famille d’agriculteurs, il ressent très tôt l’envie de dessiner, de peindre. Malgré l’opposition de son père, il part en apprentissage à Munich, Karlsruhe, Dresde, Berlin. Il se singularise par une peinture farouche, impressionné par Van Gogh. Sa thématique campagnarde, son traitement des couleurs vives et en pâte épaisse provoquent l’enthousiasme des jeunes artistes, il adhère au groupe « die Brücke », mais le quitte rapidement. Il peint des sujets religieux, des marines et des fleurs, à la limite de l’abstraction, est attiré par l’art primitif après un séjour en 1913 dans les îles du Pacifique et peint des masques et des statues s’inspirant de ces arts exotiques.…
Ce sont ses marines aux couleurs insensées qui m’ont chamboulée, bouleversée. J’ai voulu les copier, j’ai voulu m’inspirer de ces aquarelles qui ressemblent aux peintures à l’huile, avec des couleurs fortes, déstructurant l’image, mais insufflant une vie ardente…J’y ai trouvé une jouissance surprenante, même si le résultat n’était pas à la hauteur de l’original. Qu’importe…
En cherchant plus d’informations, j’ai trouvé un roman de Siegfried Lenz : « La leçon d’allemand » qui retrace un épisode de la vie du peintre adulte, dans les années 1940-45, alors qu’il est revenu dans son pays, à Seebüll, retrouvant le paysage plat et tourmenté qu’il aime tant. Dans ces années particulièrement difficiles, où il était problématique de trouver sa place, de s’exprimer, de prendre parti, Nolde semble avoir penché pour le pouvoir en place. Selon les récits, ses motivations étaient plus ou moins politiques, parfois les artistes étaient des « Mitläufer », des sympathisants pour sauver leurs œuvres. Peut-on séparer l’artiste de l’homme, aimer l’un, condamner l’autre ? La question reste ouverte…
Malgré son adhésion au pouvoir en place, Nolde a été classé parmi « les artistes dégénérés » dont les œuvres étaient interdites, au même titre que la plupart des artistes qualifiés d’expressionnistes. Il est alors frappé d’une interdiction totale de peindre et ses œuvres exposées sont détruites. Mais, un artiste peut-il arrêter sur ordre de créer ? Il continue à travailler clandestinement en peignant des aquarelles sur papier de récupération…
Après la guerre, Nolde réussit à trouver une reconnaissance internationale, il est consacré de son vivant comme l’un des artistes les plus importants de son temps. Résistance, exigence, audace, résolution, il ne doute pas de sa voie jusqu’à sa mort en 1956.
J’ai découvert un homme dur, entêté, relié à sa terre et à son climat rude, mais Siegfried Lenz le décrit comme attentif aux gens, aux enfants, s’inscrivant dans la vie du village et en opposition au pouvoir en place. Je n’ai pas pu appréhender l’homme autrement que par ses messages liés à sa peinture:
…La gamme des couleurs et une toile vierge blanche me semblaient une lutte mutuelle, et seulement quand le tableau était vraiment réussi, la toile, les couleurs et moi-même étions heureux…
…Vois-tu des lignes, des formes, des plats ou des couleurs ? Je pensais que la forme devait être saisie avec la raison, la couleur avec les sens, et les plats conduisaient vers l’architectural…
…Le jaune peut peindre le bonheur ou la douleur. Il y a le rouge du feu, le rouge du sang et le rouge des roses. Il y a du bleu argenté, du bleu ciel et du bleu d’orage…Les rêves ne sont-ils pas comme des sons, et les sons comme des couleurs, et les couleurs comme de la musique ? Les couleurs sont mes notes, avec lesquelles je forme des accords et des sons en harmonie ou en contraste…
Dans ces mots, dans ces phrases, je me retrouve à l’unisson avec le peintre qui vit les sensations, les dit, les peint…Je comprends pourquoi j’aime ses paysages, ses fleurs, ses couleurs, ses ciels et ses mers…
Et j’aimerais savoir écrire comme Nolde sait peindre…