#Histoire#04| Pourquoi, Mauvignier

Pourquoi suis-je toujours assis ici, moi qui ne fais rien, moi qui ne sais rien, cette chaise me fixe et me défie, pourquoi mes mains restent-elles posées sur mes genoux alors que tout se tend en silence ?
Ce chien à mes pieds, une pierre vivante, sa tête ne bouge jamais vers moi, il semble attendre quelqu’un que je ne connais pas.
La lumière tombe sur le bois ciré et les verres propres comme si elle voulait nous juger, le moindre frémissement dans cette pièce devient tempête, pourquoi le temps s’est-il arrêté alors que dehors tout continue ?
Mes yeux cherchent ceux du violoniste, ses doigts touchent le bois pour retenir quelque chose, son archet surprend le son avant qu’il ne devienne musique, sa respiration compte les battements sur la partition de mes tempes.
La porteuse de fleurs avance, ses doigts caressent les tiges sans toucher le monde, le parfum des fleurs s’infiltre dans nos peaux, je sens que chacune d’elles est un mot qu’elle ne dit pas, un secret que je ne comprendrai jamais ; l’abeille messagère le portera loin, au bord des souvenirs perdus.
Je reste droite, et je sens tout ce qui passe autour de moi. Les présences s’approchent, s’arrêtent, hésitent, enveloppant ce qui chancelle sans bruit. Je connais l’absence et je la porte, pleine de ce qui n’est pas, attentive à ce qui ose ou ne peut se poser.
Le chien lève enfin la tête, ses yeux plongent dans les miens comme si je devais comprendre, je ne comprends pas ; l’attente d’un mouvement que je ne peux faire, les minutes s’étirent et se brisent, pourquoi sommes-nous tous retenus par cette présence invisible ?
Et nous restons ici, autour de la table, autour de moi, autour de ce vide, nos voix se perdent dans la même question, nos corps et nos gestes dansent un rythme muet, le chien, le violon, les fleurs, la chaise et moi, elle est absente et présente, et nous n’avons pas encore osé poser l’ultime pourquoi.